La mort de Philippe Simonnot, économiste et ancien journaliste au « Monde »

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Economiste passionné par l’information, il s’orienta très tôt vers le monde de la presse, où sa ferveur didactique ne modéra jamais son goût de la provocation. Philippe Simonnot est mort le 17 novembre, à l’âge de 81 ans.

Ce fils d’industriel, né le 10 juillet 1941, à Boulogne-Billancourt (aujourd’hui Hauts-de-Seine), fréquente l’établissement jésuite Saint-Louis-de-Gonzague, dit « lycée Franklin » (Paris 16e), puis Saint-Jean-de-Béthune et Sainte-Geneviève à Versailles, autant d’établissements privés où il développe son goût pour la politique, le droit et l’économie. D’où le diplôme qu’il décroche à l’Institut d’études politiques de Paris, une licence de droit et, plus tard, un doctorat en sciences économiques (1969), matière qu’il enseignait dès 1966 comme professeur à l’Université catholique de Valparaiso (Chili), puis à Aix-en-Provence, assistant à la faculté de sciences économiques (1967).

C’est pourtant le journalisme qui l’attire, et il entre au quotidien Le Monde, où il sera reporter puis chef de la rubrique Economie et finances internationales (1968-1976). Si ses articles et bientôt ses premiers essais sur le système monétaire (L’Avenir du système monétaire, Robert Laffont, 1972 ; Clefs pour le pouvoir monétaire, Seghers, 1973) font référence, Philippe Simonnot se passionne pour les affaires pétrolières. Son enquête sur les enjeux et les conditions de la fusion Elf-Aquitaine programmée à l’automne 1976 l’amène à publier, dès le 9 mars, un article reprenant de larges extraits d’une note de Gaston Ramel, chef de la mission de contrôle des entreprises pétrolières, que le haut fonctionnaire a sans doute laissée sciemment à la portée du journaliste. Déontologiquement, l’affaire trouble la rédaction, puisque Philippe Simonnot refuse de divulguer sa source. Sommé de démissionner par le directeur, Jacques Fauvet, il refuse et est licencié le 1er avril, pour avoir dissimulé l’origine du document.

S’il poursuit sa carrière dans la presse en free lance, à Radio France internationale notamment (1976-1987), il livre son récit de l’épisode dès l’année suivante dans un livre qui interroge le fonctionnement du quotidien et son rapport aux pouvoirs, mais aussi aux enjeux générationnels dont il estime avoir fait les frais. Préfacé par Michel Le Bris, Jean-Paul Sartre et Jean-Pierre Le Dantec, Le Monde et le pouvoir (Presses d’aujourd’hui, 1977) semble couper les ponts entre l’économiste et le journal de la rue des Italiens.

Soucieux de pédagogie

Simonnot y revient pourtant comme chroniqueur de livres d’économie (1993-2005), puisque c’est désormais du côté de l’édition, bien plus que de la presse, qu’il va s’exprimer, livrant des essais souvent décapants. Lui qui, chef de rubrique ou simple collaborateur, a travaillé à Politis, L’Express, Le Nouvel Observateur, Le Nouvel Economiste, Libération et InfoMatin, entre autres, renoue avec la veine de Homo sportivus. Sport, capitalisme et religion (1988) et de Doll’art (1990) – tous deux chez Gallimard –, ouvrages qui attestaient déjà le goût de l’auteur pour croiser l’économie et les enjeux de société. Sans cesser, par ailleurs, dans d’autres essais souvent iconoclastes, d’épingler l’Etat en défenseur idéologique des physiocrates des Lumières (L’Erreur économique. Comment économistes et politiques se trompent et nous trompent, Denoël, 2004 ; La Monnaie. Histoire d’une imposture, avec Charles Le Lien, Perrin, 2012, après le livre de politique-fiction Le Jour où la France sortira de l’Euro, Michalon, 2010), l’essayiste s’attelle à de plus vastes débats. Appliquant aux trois religions monothéistes les outils de l’analyse économique, il livre Le Marché de Dieu (Denoël, 2008), complétant son remarqué survol de l’histoire économique du christianisme, Les Papes, l’Eglise et l’argent (Bayard, 2005).

Et s’il reste soucieux de pédagogie claire – après Vingt et un siècles d’économie (Les Belles Lettres, 2002), primé par l’Institut de France, il complète ses 39 leçons d’économie contemporaine par dix Nouvelles leçons (Gallimard, 1998 et 2018) –, il interroge, d’un regard neuf et dérangeant, d’abord le rôle des homosexuels dans la montée du nazisme (Le Rose et le Brun, Dualpha, 2015), puis les liens du nazisme ascendant avec l’écologie émergente (Le Brun et le Vert, Cerf, 232 pages, 19 euros), paru quelques jours avant sa brusque disparition. Un débat qui se jouera sans sa voix profonde aux accents goguenards.

[« Le Monde » présente à la famille de Philippe Simonnot ses plus vives et sincères condoléances. J.Fe.]