« La vision dominante que l’on a de la population immigrée est approximative, ce qui nuit à l’intelligibilité du fait migratoire »

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Le décor est dressé depuis quelques semaines maintenant. Les acteurs connaissent leur rôle et les tirades sont débitées avec un merveilleux aplomb. Le monologue, avec ses inévitables phrases emphatiques, a pour objet de réduire l’adversaire à un « être sans cœur » ou à un être prisonnier d’un « déni de réalité ». Le thème de cette pièce sans fin, éternellement rejouée ? L’immigration et la « régulation » des flux migratoires internationaux. L’enjeu ? La légitimité de la présence de certaines fractions de la population étrangère. Et toujours ce rappel, nullement illégitime, depuis 1945 : l’inviolabilité du pouvoir souverain du peuple (par la voix de ses représentants), seul autorisé à dire qui peut être accueilli ou qui n’a pas, selon la formule consacrée, « vocation à se maintenir » sur le territoire national, s’il est sans document de séjour ou s’il a commis un crime ou un délit.

A l’Assemblée nationale et au Sénat, les 6 et 13 décembre, le débat sans vote sur l’immigration, s’il fut de bonne tenue, n’en fut pas moins dépourvu de surprise. Ce n’est pas un reproche, c’est un simple constat. Et comment pourrait-il en être autrement ? Tous les discours politiques (militants y compris) et une partie des discours à prétention scientifique se construisent autour d’une représentation de ce qu’est un immigré. A cette condition ontologique – l’immigré est un être qui vit dans le monde des autres – est associée une série de caractéristiques dont celles, principalement, de « victime » et de « vulnérable ». C’est, qu’on le veuille ou non, la vision dominante que l’on a de ces populations.

Elle est approximative et souvent condescendante, et produit un effet d’homogénéisation sociale et culturelle profondément dommageable à l’intelligibilité du fait migratoire dans ses multiples dimensions. Un seul exemple : il n’y a pas eu un seul moment dans tous les échanges où il a été question des femmes immigrées, avec ou sans document de séjour, et de leur condition sociale et domestique. Pourtant, en 2020, les femmes étrangères représentaient 52 % de l’immigration. Quel sort le projet de loi leur réservera ? On n’en sait rien, même si on le devine. Partagent-elles les mêmes conditions d’existence que les hommes en terre d’immigration ? En aucun cas.

Préoccupations techniques

En pratique et en théorie, tous les partis pris ont « collé » à cette représentation sociologique et politique de l’être immigré. Les seules préoccupations, partout et toujours, sont indissociablement techniques (réduire de douze à quatre les procédures de recours ; simplifier le droit des étrangers, etc.) et morales. Cette dernière dimension transparaît dans la notion d’« humanité » qui, je le rappelle, est systématiquement accouplée à une posture de « fermeté » politique et juridique. Je ne conteste nullement à l’Etat et aux représentants de la nation leur légitimité, et donc leur droit à organiser les conditions générales d’un ordre social et national qui prendrait en compte, sous la forme d’un pacte, et le plus judicieusement possible, le phénomène migratoire dans sa double composante d’émigration et d’immigration.

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