« Tirailleurs » : au-delà de l’hommage, une histoire à hauteur d’hommes

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Après une tournée en France, dont la dernière projection a eu lieu à Verdun, le film Tirailleurs du réalisateur Mathieu Vadepied a été présenté au cinéma Pathé de Dakar, en avant-première le 20 décembre, avant une sortie officielle prévue le 6 janvier en Afrique francophone. « On est très heureux de le montrer aux spectateurs sénégalais et de rendre hommage ici à tous ces soldats qui ont participé à ces guerres » a-t-il déclaré en introduction de la projection. Un lieu qui revêt une symbolique particulière puisque c’est depuis cette capitale que les troupes coloniales partaient pour combattre en France.

Le film raconte l’histoire de Thierno Diallo, jeune Sénégalais recruté de force en 1917 dans son village du nord du Sénégal par l’armée française, et de son père qui s’enrôle volontairement afin de le sauver. Autour de cette histoire universelle de filiation père-fils, ce sont les parcours de plus de 200 000 tirailleurs sénégalais qui sont évoqués. Créé par décret en juillet 1857 par Napoléon III, au Sénégal, le corps d’infanterie des tirailleurs, qui regroupait essentiellement des soldats enrôlés et une minorité de volontaires dans toutes les colonies françaises, a participé à tous les grands combats du XXe siècle sous le drapeau français. Ces faits restent jusqu’à présent peu traités, aussi bien en littérature qu’au cinéma.

Transmission et devoir de mémoire

« À 18 ans, je suis venu au Sénégal et j’ai rencontré Abdoulaye Ndiaye, le dernier tirailleur sénégalais ayant participé à la Première Guerre mondiale. J’ai été marqué par cette histoire qui m’a poussé à me questionner sur le passé commun entre la France et le Sénégal, à m’interroger sur comment transmettre cette mémoire », explique Mathieu Vadepied. C’est ce manque de représentation mais aussi la disparition en 1998 de M. Ndiaye, la veille de recevoir la Légion d’honneur, qui font naître chez le réalisateur l’ébauche du film. Rencontré sur le tournage du film Intouchables en 2011, Omar Sy rejoint le projet, qu’il coproduit également : « Je ne m’étais jamais posé la question : et si le soldat inconnu était un tirailleur sénégalais ? » Une interrogation qui parle à ce Franco-Sénégalais : « C’est complètement mon histoire, c’est mon identité, même si je n’ai pas de tirailleurs dans ma famille », dit-il.

Mathieu Vadepied souhaitait notamment montrer ce qui n’avait pas encore été vu sur ces hommes, leur vécu sur le front, leurs difficultés…, « toute une part occultée et une mémoire oubliée ». Pour être le plus authentique, le film est majoritairement tourné en langue peule. « Les soldats recrutés ne se comprenaient pas toujours entre eux puisqu’ils venaient de pays et ethnies différentes et ne comprenaient pas la langue du pays pour lequel ils combattaient », détaille-t-il. Une première pour Omar Sy, qui n’avait jamais joué dans sa langue maternelle jusqu’à présent. « Ce film est un témoignage. Son objectif est de faire connaître ce pan-là de l’Histoire et de se souvenir. Cette histoire est importante avec tout ce qu’elle porte en elle : elle parle du déracinement de ces tirailleurs arrachés à leur terre, de leur isolement, … On parle beaucoup de Thiaroye, mais on oublie les soldats qui se sont battus durant la Première Guerre mondiale », raconte l’acteur. Selon lui, « notre génération a besoin de ce récit pour notre construction », contrairement aux « générations précédentes qui avaient besoin de silence car cela était douloureux, peut-être honteux aussi. Parfois, c’est mieux d’éteindre la douleur avec le silence », analyse-t-il.

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Une résonance particulière pour de nombreux Sénégalais

Inauguré il y a quelques mois, le cinéma Pathé a fait salles combles le 20 décembre : les 7 salles ont été remplies pour la projection de Tirailleurs. « Je suis content que Tirailleurs arrive en 2022 alors que Pathé vient d’ouvrir son cinéma à Dakar : cela va permettre aux jeunes de voir le film », se félicite l’acteur Alassane Diong. Attendant le début de la séance, Aminata affiche sa joie de voir Omar Sy à l’affiche du film : « Il symbolise ce lien entre le Sénégal et la France, l’histoire entre nos deux pays. » Elle qui se souvient avoir échangé avec son grand-père, ancien tirailleur, qui parlait toujours avec fierté de son expérience, applaudit le fait d’aborder cette période de l’Histoire. « Les jeunes ont peu de connaissances sur le sujet et je n’ai pas l’impression que cela soit beaucoup étudié dans les écoles, on met surtout l’accent sur Thiaroye. Le devoir de mémoire est important : ces tirailleurs ne sont pas des invisibles, ils méritent la reconnaissance et qu’on leur rende hommage », souligne la Sénégalaise de 38 ans.

Venue avec ses parents et sa sœur, Marame, âgée de 13 ans, confesse qu’elle connaît peu le sujet mais espère justement en apprendre plus. À la fin de la projection, même si certains s’interrogent sur le public véritablement visé, tandis que d’autres spectateurs auraient souhaité un accent plus important mis sur le déracinement ou encore le racisme subi par les soldats, les retours sont positifs et font naître des réflexions. « Le film raconte la vie de ces tirailleurs qu’on ne connaît pas vraiment. On sent l’Afrique dans ce film, avec la famille qui est le noyau, représentée par la relation père/fils. Il parle de la transmission de la culture donc pour nous Africains, l’intérêt est important : c’est notre patrimoine, notre héritage et cela questionne aussi notre regard sur le monde occidental », développe Assana, Sénégalais de 36 ans. Selon lui, le film soulève aussi frustration et sentiment de révolte : « Ces hommes ont défendu des couleurs qui n’étaient pas les leurs et pourtant, ont-ils été reconnus à leur juste valeur ? Ça pose le débat des promesses non tenues de la France à leur égard. » Son collègue Issaka, 29 ans, apprécie la mise en avant de la langue peule et de la culture du Fouta tout en soulignant cette initiative importante qui permet au Sénégal « de mieux connaître son Histoire, savoir d’où l’on vient mais aussi de tirer les leçons du passé ». Une manière également pour certains binationaux de mieux s’approprier leur histoire personnelle par exemple. « Avec ce film, les jeunes Français sauront que les tirailleurs ont contribué à défendre le pays. Leurs ancêtres tirailleurs s’étant battus pour la France, les enfants et petits-enfants franco-sénégalais sont aussi français qu’eux », revendique Arame, 33 ans.

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Des projets à venir sur place

« Agréablement surpris » par le long métrage, Cheikh Diop a aussitôt pensé à son grand-oncle, Abdoulaye Ndiaye, dernier tirailleur de la Première Guerre mondiale, décédé en 1998. « J’ai revécu sa vie », souffle-t-il. Confiant, il est persuadé que « le grand public va s’intéresser à la contribution décisive des poilus africains dans cette guerre, même si cela se fait tardivement » et « ce film, avec un acteur international comme Omar Sy, va contribuer à l’éveil des consciences ». « Cette mémoire est très peu présente des deux côtés, français comme sénégalais. Il y a une sorte d’oubli qui fait que ces Africains ne sont encore pas assez célébrés. Du côté sénégalais, d’un côté on aime chanter les faits d’armes de nos grands-parents et souligner le manque de reconnaissance dont ils sont victimes, mais de l’autre, on raille et critique aussi ces participations au côté de l’armée française », remarque-t-il. Très engagé sur la question de la conservation de la mémoire des tirailleurs sénégalais, il a créé le projet « La piste des tirailleurs » à Thiowor, village natal de son grand-oncle, qui a permis de relier celui-ci à la route goudronnée. Un projet de « case du tirailleur », un musée dédié à la Première Guerre mondiale situé dans l’ancienne case de M. Ndiaye, est également en attente d’agrément afin d’en faire un lieu de mémoire pour le continent.

* « Tirailleurs » de Mathieu Vadepied, avec Omar Sy, Alassane Diong et Jonas Bloque (1 h 40), dans les salles françaises et ouest-africaines le 4 janvier prochain, le 6 janvier au Sénégal.

Source: lepoint.fr