Euthanasie en Belgique : quand le cas d’Olympe sème le trouble
C’est une influenceuse comme une autre, ou presque. Qui donne à ses fans des surnoms mignonnets, se filme pendant ses « routines beauté » et pose en robe légère dans des cadres paradisiaques en faisant mine de s’extasier devant la couleur de l’eau. « Olympe », 23 ans, 270 000 followers sur Instagram, 259 000 abonnés sur YouTube, a ceci de particulier, cependant, qu’elle parle presque exclusivement de ses troubles psychiques. Soit un TDAH (trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité), un HPI (haut potentiel intellectuel) et, surtout, un TDI : un « trouble dissociatif de l’identité » qui la contraint, selon ses dires, à vivre avec une dizaine de personnalités différentes.
Dans ses vidéos, Olympe présente donc ses « alters », qui ont chacun un nom, un âge, un caractère et une fonction précise dans le « système » d’ensemble. Elle décrit sa vie et ses difficultés, raconte ses chutes et ses efforts pour aller mieux. Or Olympe, début janvier 2023, annonçait sur Instagram sa « décision » de recourir au « suicide assisté » en Belgique d’ici à la fin de l’année. En se disant « épuisée » par ses épreuves et en invitant l’auditoire à ne pas commenter ce qu’elle présentait tantôt comme un choix arrêté, et d’ailleurs admis par des médecins belges, tantôt comme un désir auquel elle serait prête à renoncer.
« J’ai vu la vidéo : cette jeune femme est émouvante et semble très sincère mais, sans probablement en avoir conscience, elle a semé un grand trouble, soupire Jacqueline Herremans, avocate au barreau de Bruxelles et présidente de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD) belge. Obtenir l’euthanasie est possible en Belgique pour des patients psychiatriques, mais c’est un processus extrêmement long et complexe. A fortiori lorsqu’il s’agit de très jeunes gens. » L’ADMD, comme les médecins eux-mêmes, décourage systématiquement les demandes de ce type venant de l’étranger – en l’espèce, l’association n’a pas trace d’une prise de contact formelle de la jeune femme.
20 dossiers en 2020
Aux dispositions prévues par la loi qui, en 2002, a dépénalisé l’euthanasie en Belgique (sans d’ailleurs autoriser le « suicide assisté » proprement dit), le Conseil national de l’Ordre des médecins a ajouté depuis plusieurs conditions restrictives pour ce type de demande. « Déterminer l’incurabilité et/ou le manque de perspectives d’une pathologie psychiatrique est une tâche complexe », écrit l’Ordre des médecins dans ses directives déontologiques, et l’appréciation de la capacité du patient d’exprimer sa volonté n’est « pas évidente ».
Le médecin traitant doit donc non seulement faire appel à deux spécialistes (comme c’est toujours le cas lorsque le décès n’est pas attendu à brève échéance), mais débattre directement du cas avec eux, et consulter l’ensemble des personnes qui soignent régulièrement le patient. Il doit, en outre, avoir acquis la certitude que tous les traitements ayant démontré leur efficacité ont été essayés – un refus de traitement rend l’euthanasie impossible –, et cela au cours d’une durée « suffisamment longue ». Par ailleurs, précise l’Ordre, le médecin doit garder à l’esprit le préjudice qu’une euthanasie, notamment dans ce contexte singulier, est susceptible de faire subir aux proches du patient, et il est encouragé à les rencontrer.
À LIRE AUSSIEmmanuel Macron, rendez-vous avec la mort
« Aucune demande d’euthanasie pour maladie psychiatrique venant de l’étranger n’a jamais été acceptée, souligne Jacqueline Herremans. Il s’agit de cas exceptionnels, qui ne concernent que des résidents belges suivis sur place pendant de longs mois, pendant plus d’un an et demi parfois. » Vingt dossiers de cet ordre ont été enregistrés en 2020 (sur 2 444 euthanasies), 24 en 2021 (sur 2 700) par la commission chargée de contrôler a posteriori les dossiers. Les moins de 30 ans sont plus rares encore : ils sont une dizaine, chaque année, à obtenir l’euthanasie en Belgique ; parmi eux, seuls un ou deux, parfois aucun, la demandent pour raison psychiatrique. L’euthanasie, par ailleurs, n’est permise pour les mineurs, depuis 2014, que pour des affections physiques.
Shanti De Corte, euthanasiée à 23 ans
La confusion, ici, semble s’être nourrie du cas tragique de Shanti De Corte, rescapée des attentats de Bruxelles en mars 2016. Après de longues années d’une dépression commencée avant cet événement, et des tentatives vaines pour la soigner, la jeune femme a obtenu le droit d’être l’euthanasiée en mai 2022, à l’âge de 23 ans. Sa mort, révélée en octobre dernier par la RTBF à l’ouverture du procès des attentats à Bruxelles, a provoqué un grand émoi. Cela, alors que plusieurs psychiatres, ces dernières années, ont manifesté leur inquiétude sur le sujet. Et après le retentissant procès aux assises de l’affaire Tine Nys – une Flamande de 38 ans, euthanasiée en 2010 après de longues années de traitement psychiatrique et plusieurs tentatives de suicide… mais deux mois seulement après qu’un diagnostic d’autisme avait été posé.
« La loi belge est largement caricaturée en France par les opposants à une dépénalisation », s’agace Yves de Locht, généraliste bruxellois connu pour ses positions fermes en faveur de l’euthanasie. Interviewé par Le Parisien sur le cas d’Olympe, le médecin avait laissé entendre qu’il avait reçu des e-mails de la jeune femme – avant d’expliquer qu’il s’était mal exprimé, qu’il n’avait eu aucun contact avec elle et qu’il lui aurait, en tout état de cause, fait comprendre qu’elle ne pouvait prétendre décider ainsi ni du geste ni de sa date. « Cette jeune femme, qui souffre peut-être réellement, laisse croire qu’il suffit, chez nous, de demander pour obtenir, poursuit le Dr De Locht. Nous ne sommes pas des distributeurs automatiques d’euthanasie ! Et nous devenons très suspicieux sur les demandes venant de France. Je reçois chaque semaine des appels, parfois extrêmement grossiers, de personnes qui exigent d’être euthanasiées, dès le lendemain pour certains… et qui me raccrochent au nez quand je leur dis ce que prévoit réellement la loi belge. »
À LIRE AUSSIEuthanasie : « La notion de dignité est très à la mode, mais très confuse »
Le Dr Marc Decroly fait un constat semblable. Lui aussi est généraliste à Bruxelles, lui aussi est connu pour accepter de pratiquer des euthanasies. Et lui aussi voit affluer des demandes venant de France. « Certaines sont tout à fait sérieuses, et légitimes, dit-il, d’autres sont farfelues, peu réalistes, ou n’entrent en tout cas pas dans le cadre légal. Des gens, par exemple, qui me disent être déprimés depuis des années, qui sont manifestement déçus par leur psychothérapie. J’essaie de répondre toujours, d’expliquer. Certains se fâchent, et me disent, en substance, que je ne comprends rien à leur souffrance. »
Les demandes de l’étranger ne sont pas neuves mais la réouverture en France du débat sur la fin de la vie a accru le phénomène. « Je commence à m’inquiéter sérieusement de cet afflux, avoue Jacqueline Herremans. La consultation “Fin de vie” que l’ADMD a ouverte en septembre est débordée, nous recevons plusieurs messages par jour. Nous nous sommes battus, il y a vingt ans, pour obtenir cette loi. Et nous sommes très soucieux de ne pas la mettre en péril. »
Source: lepoint.fr