Avis de tempête sur la filière pêche en Bretagne
Dans quelques jours, le An Triskell va appareiller pour son tout dernier voyage. Après plus de trois décennies à taquiner lottes, bars ou congres au large des Cornouailles, le bâtiment de 24 mètres va mettre le cap sur Brest, où il sera totalement déconstruit. Conséquence du plan d’accompagnement individualisé (PAI, appelé aussi plan de sortie de flotte) décidé à la suite du Brexit.
Après la suppression des licences de pêche dans les eaux anglo-saxonnes, l’État a décidé d’indemniser les armateurs qui, selon certains critères, préfèrent désormais mettre définitivement pied à terre plutôt que d’aller jeter leurs filets ailleurs. En France, une enveloppe de 65 millions d’euros a ainsi été débloquée pour soutenir les patrons des 90 bateaux promis à la casse d’ici cet été (34 autres sont sur liste d’attente), dont 45 se trouvent en Bretagne et 26 sont rattachés au seul quartier maritime du Guilvinec (Finistère).
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Ici, cela représente la moitié de la flotte hauturière et si certains armements peuvent parfois y voir une aubaine (vétusté du matériel, hausse du prix du carburant…) pour lever l’ancre, l’ensemble de la filière risque de tanguer. Et sérieusement. Car l’équation est douloureusement simple : un emploi en mer équivalant à environ sept emplois à terre, et à raison de quatre à cinq matelots en moyenne par équipage, cela fait plus de 700 salariés menacés rien que dans le pays bigouden.
Au sein de l’Association bretonne des acheteurs des produits de la pêche (ABAPP) de Quimper, l’inquiétude est montée en flèche ces dernières semaines. « La lotte est l’un de nos produits phares et 4 200 tonnes en ont été débarquées au Guilvinec en 2021, observe Jennifer Leroux, responsable filière de l’association. Se dire que l’on sera potentiellement impacté de moitié peut être catastrophique pour les entreprises et certaines choisiront de réduire leurs effectifs pour diminuer leur activité, car elles y seront contraintes ! »
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Et ce qui est vrai chez la centaine de mareyeurs réunis au sein de l’ABAPP l’est aussi dans d’autres secteurs dont la vitalité économique repose sur les arrivages de poisson frais. Constructeurs navals, vendeurs, personnel de criée ou encore transporteurs : un véritable tsunami social guette ce bassin de 40 000 habitants ! « Ce qui est en train de se passer est pire que si on fermait une grosse usine, compare Stéphane Le Doaré, président de la communauté de communes du pays bigouden sud et maire de Pont-l’Abbé. Dix emplois supprimés par ici, trois autres par là, deux ailleurs : chaque entreprise en faisant travailler une autre, par ricochet, cela reviendrait à condamner une grosse unité de production n’importe où en France ».
Illustration à Treffiagat (2 500 habitants) où la maire Nathalie Carrot-Tanneau, mesure toute la déflagration de ce PAI. « Dans ma commune, j’ai une entreprise de peinture marine dont une grande partie de la clientèle disparaît du jour au lendemain, et pour une autre qui fait des chaluts, l’avenir est aussi compliqué ! »
Objectif : lever les quotas, récupérer les licences de pêche
Pourtant, à l’avenir de la filière, ces élus locaux y croient, et c’est pour cette raison qu’ils appellent à manifester à Pont-l’Abbé ce samedi 25 février, jour d’ouverture du Salon de l’agriculture, à Paris. Dans leurs revendications figure notamment un assouplissement, voire une levée des quotas sur certaines espèces. Quitte à être inaudible dans un contexte où la surpêche est largement décriée ? « Ici on ne parle pas des bateaux-usines de Scandinavie ou de Chine qui viennent ramasser des milliers de tonnes à chaque marée quand nous, on ne fait que deux ou trois tonnes, recadre Stéphane Le Doaré. On est sur de la pêche artisanale, minuscule à l’échelle mondiale, qui fait attention à préserver ses stocks, donc la ressource est là ! Ce que l’on veut, c’est récupérer les quotas et les licences des bateaux qui vont à la casse pour ne pas diminuer les apports sous criées, ainsi tout le monde peut garder son emploi. Si la filière fonctionne, la réparation navale fonctionnera également, et les armements investiront dans la modernisation de leur outil. »
Un cercle vertueux en somme, qui pourrait donner un nouveau souffle à la filière, en accélérant par exemple le processus de décarbonation des navires, et restaurer la souveraineté alimentaire tricolore, puisqu’il n’y aurait pas besoin d’importer ce que l’on peut pêcher le long de nos côtes.
Source: lepoint.fr