Sans l’éducation sexuelle à l’école, « le porno devient un tuto »

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ENTRETIEN. Claude Giordanella, sexologue et spécialiste de la protection des mineurs, explique au « Point » les enjeux de cet enseignement à l’école.







Propos recueillis par


17 % des 15-24 ans indiquaient n'avoir jamais eu le moindre cours sur la question de l'education sexuelle selon l'Ifop.
17 % des 15-24 ans indiquaient n’avoir jamais eu le moindre cours sur la question de l’éducation sexuelle selon l’Ifop.
© SABINE GREPPO / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Temps de lecture : 4 min

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Où figurent donc, dans l’emploi du temps des élèves français, les trois cours annuels dédiés à l’éducation sexuelle ? Trois associations (SOS Homophobie, Sidaction et le Planning familial) ont saisi ce jeudi 2 mars le tribunal administratif de Paris pour « mettre l’État devant ses responsabilités ». En cause, ses manquements quant à « l’application pleine et entière de la loi de 2001 » inscrite dans le Code de l’éducation et obligeant les établissements scolaires à dispenser, a minima, trois séances annuelles d’éducation sexuelle et de sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles.

Déjà, en 2021, un rapport de l’Inspection générale de l’Éducation pointait les défaillances de l’institution et une éducation sexuelle à la peine. L’objectif « n’est à l’évidence pas réalisé », épinglait alors ses auteurs, révélant que seuls 15 % des élèves bénéficiaient effectivement de ces séances. Quand 17 % des 15-24 ans indiquaient n’avoir jamais eu le moindre cours sur la question (Ifop).

Si le ministre de l’Éducation Pap Ndiaye ordonnait en septembre dernier leur « renforcement, dès cette année scolaire », ces thématiques « restent délaissées par les autorités publiques », déplorent aujourd’hui les associations portant le dossier devant la justice. La sexologue et spécialiste de la protection des mineurs Claude Giordanella rappelle, pour Le Point, les enjeux de la sensibilisation à ces sujets.

Le Point : Comment expliquez-vous que l’éducation sexuelle soit un sujet délaissé par l’Éducation nationale ?

Claude Giordanella : Il y a clairement un problème de volonté politique. Malgré la loi de 2001, l’éducation sexuelle des jeunes n’a jamais été une priorité. Étant moi-même formatrice auprès de professionnels – parmi lesquels les professeurs –, je vois combien ils sont nombreux à manquer de formation à ce sujet. Il n’y a pas même de temps dédié à ces questions dans leur formation initiale. Or, c’est indispensable, tant pour penser à les aborder que pour le faire convenablement. C’est une chose de dispenser un cours sur la reproduction, c’en est un autre que de parler de sexualité avec les jeunes. La hausse des violences sexuelles [+ 33 % entre 2020 et 2021, NDLR] et la dégradation des connaissances des jeunes sur le VIH sont les conséquences directes de ces manquements et interpellent à raison ces associations…

Vous observez aussi ces phénomènes dans votre pratique ?

Absolument. Je les observe notamment dans le centre de dépistage de l’hôpital de Créteil où je travaille. Une partie des jeunes que je reçois pensent encore que le VIH ne touche que les homosexuels ou les marginaux et que les traitements qui existent aujourd’hui n’en font plus un sujet. Je rencontre aussi de jeunes mineures qui se prostituent et à qui les questions de santé sexuelle, d’agressions ou d’espaces de paroles sont inconnues. On peut légitimement penser que si ces dernières avaient été mieux informées, elles n’en seraient pas arrivées à ce point de non-retour… Quant aux violences sexuelles, tous les spécialistes pourront vous dire qu’ils ont observé une recrudescence des cas depuis l’épidémie et les confinements successifs.

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En l’absence de cours à l’école, comment les jeunes s’informent-ils sur ces sujets-là ?

C’est là tout le problème ! Si certains évoluent dans des familles où il est possible d’en parler, la sexualité demeure un sujet tabou dans la plupart d’entre elles. Je pense notamment aux jeunes grandissant dans des quartiers plus difficiles, ou auprès des parents qui, pour des raisons culturelles, religieuses ou encore d’éducation, ont confisqué ce thème. Le problème, c’est que lorsque l’école ne remplit plus ce rôle d’information, alors les ados se tournent vers d’autres ressources. Et bien souvent, il s’agit du porno. Nombre de filles et de garçons prennent alors ces films pour des tutos. Or, ils formatent pour longtemps leur façon de concevoir la sexualité – souvent violente, sans préservatif…

À quoi ressemblerait une éducation sexuelle idéale ?

Le secret est d’ouvrir la conversation assez tôt, avec les enfants jeunes. Pas en parlant des maladies sexuellement transmissibles, ni même du sexe entre adultes, bien sûr ! Mais en leur parlant de leur corps et des façons dont ils doivent le protéger. Leur rappeler qu’il leur appartient, qu’ils ne doivent pas le laisser toucher, qu’ils doivent pouvoir le dire le cas échéant. Cela permet de poursuivre la conversation à l’adolescence : puisque je fais attention à mon corps, alors je le protège et suis au fait sur le sujet (contraception, dépistage, IVG…). Ainsi, on ne « plaque » pas un discours, qui peut apparaître effrayant ou moralisateur. On distille les informations de manière progressive, comme l’est l’éducation elle-même.

Source: lepoint.fr