Nathalie Appéré (PS) aux Insoumis : « Ne nous perdons pas dans des postures ! »

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Dans son grand bureau au premier étage de la mairie de Rennes, Nathalie Appéré accueille ses visiteurs avec le sourire, encore heureuse d’avoir déjoué les pronostics. Celle que les Verts espéraient déboulonner lors des dernières municipales a tenu bon en virant en tête devant ses alliés écolos au premier tour. Réélue avec 65,35 % des voix au second, elle a fait mieux que Johanna Rolland, sa voisine bretonne, maire de Nantes (59,6 %). Nathalie Appéré n’en reste pas moins discrète : méconnue du grand public, cette quadra a fait partie de l’équipe des maires d’Anne Hidalgo durant la présidentielle. Une aventure qui s’est transformée en chemin de croix pour cette élue locale, propulsée sur le devant de la scène nationale comme porte-parole de la candidate socialiste. Elle qui n’avait jusqu’alors connu aucun échec électoral depuis son entrée au conseil municipal de Rennes en 2001 a mangé son pain noir.

Depuis, Nathalie Appéré a repris sa liberté et choisi de soutenir la candidature d’Olivier Faure à la tête du PS, pas celle de Nicolas Mayer-Rossignol. Elle fait partie des grands élus locaux qui défendent la Nupes tout en gardant leurs distances vis-à-vis de Jean-Luc Mélenchon. « Sans union de la gauche, il ne peut y avoir de victoire. Et la Nupes ne vise pas à diluer nos identités », martèle celle qui a été députée durant le quinquennat de François Hollande.

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Élue maire de Rennes en 2014, c’est sans ciller qu’elle a décidé en 2017 de renoncer à se présenter de nouveau à l’Assemblée nationale, préférant son mandat de maire. Un choix rendu obligatoire par la loi sur le non-cumul, qui ne l’empêche pas de s’engager dans des instances nationales. Vice-présidente de l’Association des grandes villes de France, présidente de l’Agence nationale de l’habitat (de 2015 à 2020), elle est depuis septembre 2020 secrétaire générale de France urbaine, l’association qui regroupe les métropoles, communautés urbaines, communautés d’agglomération et grandes villes de France. Des postes clés qui lui ont permis de faire entendre sa voix dans les ministères et d’intégrer la catégorie « espoirs de la gauche ».

Le Point : La bataille interne pour désigner le chef de file du PS a été brutale. Comment l’avez-vous vécue ?

Nathalie Appéré : J’ai été attristée par le spectacle que nous avons donné de nous-mêmes. Ce n’était pas à la hauteur des enjeux du moment. Cependant, je veux retenir qu’il y a eu un point d’atterrissage : le congrès de Marseille s’est mieux terminé qu’il n’avait débuté. Maintenant, il faut laisser nos vicissitudes internes de côté pour avancer dans la reconstruction de la gauche.

La nouvelle direction du PS, avec deux premiers secrétaires délégués, ne prépare-t-elle pas des psychodrames à répétition ?

Il y a un premier secrétaire, une direction collégiale et une ligne politique claire. Maintenant, il faut avancer, notamment en s’appuyant sur le travail mené par les élus socialistes en responsabilité, que ce soit au niveau local ou au niveau national. J’entends la petite musique qui dit que nous n’aurions pas assez travaillé. Je trouve cette critique déplacée, surtout lorsqu’elle émane de ceux qui sont restés en retrait, alors même qu’ils étaient les bienvenus pour contribuer au débat.

Vous visez qui ? Les « éléphants » qui, comme François Hollande ou Bernard Cazeneuve, critiquent les choix du PS porté par Olivier Faure ?

C’est un peu facile de se placer en observateur et de dire : « Oh là là, ce n’est pas bien, ceux qui sont restés n’ont pas travaillé. » Si ces observateurs avaient mis un peu plus d’énergie à contribuer au projet et un peu moins à aller dans les médias pour expliquer à quel point le Parti socialiste était nul, ça nous aurait aidés.À LIRE AUSSI Les ambitions tranquilles de Bernard CazeneuveL’échec d’Anne Hidalgo est à mettre à leur crédit, selon vous…

Ils ont clairement une part de responsabilité dans notre échec à la présidentielle et continuent de masquer le travail de tous les socialistes qui agissent et se battent. Les élus socialistes qui se sont engagés avec leurs convictions n’ont pas enfilé des perles. Aujourd’hui encore, il suffit de se pencher sur le travail de nos parlementaires pour s’en rendre compte… Notre dernière niche parlementaire a donné à voir ce que sont les socialistes et leur capacité à agir. La proposition de loi portée par Philippe Brun [député PS de l’Eure, NDLR] pour garantir le non-démantèlement d’EDF, qui a été adoptée, celle sur le repas à 1 € dans les restaurants universitaires, même si elle a été rejetée à une voix près par la droite et les macronistes, témoignent de notre aptitude à transformer le quotidien. Ce sont deux propositions profondément socialistes, qui ont réuni la gauche. De même l’opposition résolue à la réforme des retraites est aussi dans l’ADN des socialistes.

Le système de retraites par répartition n’a pas besoin d’être réformé, selon vous ? Mais comment le pérenniser ?

La question de l’utilité d’une réforme mérite d’être posée, comme en témoignent les débats de chiffres et les analyses du COR sur la dégradation très relative de la situation financière du régime de retraites. L’autre problème de cette réforme est son tempo. Alors que notre pays, au sortir d’une pandémie et avec la crise énergétique et la guerre en Ukraine, est fragilisé, fracturé et inquiet, le moment politique nécessite de rassurer et de créer du commun plutôt que de diviser… Le dernier problème est lié à la méthode. Emmanuel Macron s’est tellement arc-bouté sur son statut de réformiste qu’il a eu une approche totalement politicienne : il s’est contenté de faire les yeux doux aux Républicains pour avoir une majorité. Non seulement il a été incapable de nouer des compromis avec les partenaires sociaux, mais il a réussi à se mettre à dos le syndicat le plus réformiste de France, la CFDT ! Dans notre démocratie sociale, une réforme des retraites ne peut se faire que par des compromis. Tout ça pour entrer dans l’histoire comme le plus grand réformateur… C’est complètement déconnecté et coupable. Cette réforme est inutile, injuste et brutale. Elle cache une question de fond : celle de la répartition des richesses. Le fruit du capital est autrement plus abondant que le fruit du travail. Or, reculer l’âge de la retraite pénalise les plus fragiles et revient à mettre à contribution les seuls travailleurs… Ce qui s’exprime dans les manifestations, c’est le sentiment que ce sont toujours les mêmes qui contribuent alors que l’enrichissement de ceux qui possèdent n’a jamais été aussi important.

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La transition écologique passe forcément par la résorption des inégalités. Si je suis écologiste, c’est non seulement pour la planète, mais aussi au nom de l’égalité. Ainsi, les travaux du Belge Paul Magnette, que je trouve très inspirants, sur le socialisme écologique montrent trois inégalités majeures qui, si on ne les résout pas, conduiront à notre perte. La première est une inégalité de responsabilité : ce sont les plus modestes qui ont les émissions de carbone les plus faibles et l’impact écologique le plus faible. À l’inverse, la population qui concentre les richesses est celle qui contribue le plus au changement climatique. La deuxième est une inégalité d’exposition : ce sont les plus pauvres qui subissent le plus les nuisances environnementales. Enfin, la troisième est une inégalité d’accès : ce sont les plus aisés qui bénéficient majoritairement d’un bon environnement naturel, d’un logement isolé, d’une éducation de qualité… Il faut demander plus d’efforts à ceux qui polluent plus. Combattre le réchauffement climatique, c’est combattre ces trois inégalités. La boussole idéologique des socialistes est précisément à cet endroit-là. Je crois en une nouvelle prospérité qui soit moins basée sur la possession, l’argent et l’hyperconsommation et davantage sur l’accès aux services publics, à l’éducation, à la culture et la santé. La transition écologique est porteuse de ce nouvel idéal, avec l’égalité comme valeur centrale.

Comment vivez-vous les débordements et la radicalité de certains députés de la Nupes à l’Assemblée ?

Je rappelle que la Nupes est une coalition, et que ce sont certains Insoumis qui ont théorisé la question de la conflictualisation. Je regrette et condamne un certain nombre de comportements et de propos qui éloignent des débats de fond. Ils produisent de la défiance de la part de nos concitoyens envers la classe politique. Les gens ont le sentiment que les politiques ne sont bons qu’à s’adonner à des jeux d’acteur dans un mauvais théâtre. S’agissant de la réforme des retraites, je pense précisément que nous avons des arguments et que nous sommes suffisamment solides pour nous opposer, sans nous perdre dans des postures ou des propos inacceptables en démocratie.

Les macronistes reprochent à la Nupes de contribuer à faire grimper le Rassemblement national à force de dérapages !

Cette stratégie de diabolisation de la gauche conduite par le gouvernement, qui cherche à mettre un signe égal entre la Nupes et le RN, est une hérésie qui risque de mener à la faillite démocratique. Je n’oublie pas que, de 2017 à 2022, Emmanuel Macron a fait le choix de désigner Marine Le Pen comme sa meilleure ennemie et comme la seule alternative. Le résultat a été à la hauteur de ses espérances : il porte une responsabilité dans l’élection des 88 députés RN ! Et n’oublions pas que les deux vice-présidents RN de l’Assemblée ont été élus avec des voix macronistes. Si Marine Le Pen est aux portes du pouvoir, Emmanuel Macron en est le principal responsable. Dire que ce sont les outrances du débat parlementaire de quelques députés Insoumis qui font monter le RN, c’est un peu fort… Diaboliser les oppositions fait le lit de Marine Le Pen. Idem au niveau local, mes opposants macronistes s’évertuent aussi à mettre un signe égal entre moi et Mélenchon pour tenter de me caricaturer. Je ne suis pas Jean-Luc Mélenchon. Je n’ai jamais caché mes divergences d’analyse ou de positionnement, mais je suis capable de voir ce qui peut rassembler la gauche quand il s’agit de lutter contre les inégalités. Je revendique une radicalité des mesures, pas de postures.

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La lutte contre les idées du RN est consubstantielle à mon engagement. J’ai démarré l’action politique pour combattre ces idées rances qui ne mènent à rien. Il reste que jamais la menace n’a été aussi forte. Nous devons penser l’alternative. C’est pour cela que je crois au rassemblement de la gauche et des écologistes pour incarner un autre projet, une autre transition écologique et une autre justice sociale. Dans l’histoire, la gauche ne gagne que si elle est unie. À nous de nous imposer par nos idées dans le débat démocratique. À nous de faire des propositions crédibles pour embarquer toute la gauche.

Comment vont se passer les prochaines échéances électorales pour la gauche ?

Pour les européennes de 2024, je souhaite un rassemblement des socialistes et des écologistes. Nos différences avec les Insoumis sur le plan européen sont extrêmement fortes… et difficilement conciliables, et la clarté est essentielle. Il ne s’agira pas, dans ce scrutin, de qualifier un candidat au second tour comme à la présidentielle et de le faire gagner face à un candidat de droite. Mais, quoi qu’il arrive, il faudra continuer à se parler. La Nupes sert à cela. Sous la Ve République, si les socialistes ont été une force motrice, les victoires n’ont été possibles qu’en rassemblant la gauche. Nos électeurs sont là pour nous le rappeler ! Il faut mesurer à quel point ils ont été soulagés par l’accord de la Nupes. Cela faisait des mois qu’ils nous disaient : « Vous travaillez très bien ensemble localement, pourquoi diable n’êtes-vous pas capables de vous unir pour la présidentielle ? » La Nupes a donné le signal que nos électeurs attendaient.

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Dans cette refondation de la gauche, quel rôle souhaitez-vous jouer ?

Celui qui est le mien depuis plusieurs années, celui d’une élue investie dans un territoire où on a une boussole et où on produit de l’innovation politique : du loyer unique dans le logement social aux dispositifs massifs d’accès à la culture, en passant par la préservation des terres agricoles. Je vais continuer de montrer que la gauche rassemblée, ça marche localement. J’entends aussi continuer, au sein du PS, à travailler pour tisser des ponts et nourrir nos propositions.

Tisser des ponts entre les différents courants du PS…

Oui, parce que pour rassembler la gauche, il faut d’abord rassembler sa propre famille.

Les rancœurs au sein du PS ne risquent-elles pas de peser sur cette refondation ?

La rancœur ne fait pas avancer. C’est en faisant envie que l’on peut rassembler. Si on montre ce que nous faisons concrètement au Parlement et dans nos collectivités, on portera un espoir. Aujourd’hui, aussi curieux que cela puisse paraître, il y a des personnes qui sont heureuses d’adhérer au Parti socialiste. Elles pensent que la gauche a un avenir dans ce pays et que le PS peut en être la force centrale. Donnons-leur raison !

Source: lepoint.fr