Commission mixte paritaire : trois questions sur cette étape-clé de la réforme des retraites

Après l’adoption samedi 11 mars du projet de loi de réforme des retraites par le Sénat, le texte poursuit son chemin législatif en passant entre les mains d’une commission mixte paritaire (CMP). Prévu pour mercredi, cet examen doit coïncider avec une huitième journée de mobilisation interprofessionnelle contre le projet de réforme, qui prévoit notamment le recul de l’âge légal du départ à la retraite.
Créée sous la Ve République et régie par l’article 45 de la Constitution, la commission mixte paritaire est réunie pour trancher un désaccord persistant sur un projet ou une proposition de loi entre les deux chambres. Dans le cas de la réforme des retraites, intégrée au projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2023, le désaccord est constaté après une seule lecture dans chaque assemblée.
Pour rappel, l’Assemblée nationale n’a pas pu aller au terme de l’examen du texte dans les délais impartis. Le Sénat l’a, pour sa part, adopté samedi par 195 voix pour et 112 voix contre – 37 sénateurs se sont abstenus. La chambre haute du Parlement s’est prononcée sur un projet de loi dont le contenu des articles 9 à 20 a été arrêté par le gouvernement, après l’activation vendredi du vote bloqué. L’objectif de la CMP mercredi sera de trouver un accord entre les deux assemblées. Depuis 1959, deux CMP sur trois ont abouti, et l’adoption des lois résulte pour 20 % d’un accord en CMP, rappelle le site du Sénat.
Comment est-elle composée ?
La commission mixte paritaire est composée de sept députés et de sept sénateurs, avec autant de suppléants. Au Sénat, c’est la commission compétente pour l’examen « au fond », qui désigne, après consultation des présidents de groupe, les sénateurs qui siégeront à la CMP. Pour l’Assemblée nationale, les noms des candidats sont directement adressés au président de la chambre par les présidents de groupes. Sur le papier, la composition de la CMP répond de considérations d’ordre technique, politique et d’équilibre entre les groupes.
Le président et le rapporteur de la commission saisie au fond de l’examen du texte font automatiquement partie de la délégation. En ce qui concerne le nombre de sièges attribués à l’opposition et à la majorité, un accord tacite entre les présidents des deux assemblées, en 1981, avait conclu que les délégations devaient être composées de cinq représentants de la majorité et de deux représentants de la minorité. Une nouvelle « clé de répartition » adoptée en 2019 prévoit maintenant que, pour la délégation sénatoriale, soient désignés quatre représentants de la majorité et trois de l’opposition. Enfin, il convient de respecter l’équilibre politique : les sièges sont attribués, au sein de la délégation de chaque assemblée, en proportion de l’importance des groupes.
Avec Les Républicains, majoritaires au Sénat, et les membres de la majorité présidentielle, qui domine l’Assemblée, les partisans de la réforme tiennent cette CMP. La délégation du Sénat sera composée de : Catherine Deroche (LR), présidente de la commission des affaires sociales ; René-Paul Savary (LR), rapporteur du texte ; Philippe Mouiller (LR), vice-président de la commission des affaires sociales ; Elisabeth Doineau (Union centriste), rapporteure générale de la commission des affaires sociales ; Monique Lubin (Parti socialiste) ; Corinne Féret (Parti socialiste) ; Xavier Iacovelli (Renaissance). Seules les deux sénatrices socialistes sont opposées à la réforme.
La délégation de l’Assemblée nationale compte, elle aussi, cinq députés favorables sur sept. siégeront : Fadila Khattabi (Renaissance), présidente de la commission des affaires sociales ; Stéphanie Rist (Renaissance), rapporteure générale de la commission des affaires sociales ; Sylvain Maillard (Renaissance) ; Thomas Ménagé (Rassemblement national) ; Mathilde Panot (La France insoumise) ; Olivier Marleix (LR) ; Philippe Vigier (MoDem).
La composition complète de la CMP a été publiée samedi 11 mars au Journal officiel.
Quelles sont les règles de discussion et de vote ?
La réunion de la CMP doit permettre de « proposer un texte sur les dispositions restantes en discussion », selon l’article 45 de la Constitution, c’est-à-dire sur les dispositions « qui n’ont pas été adoptées dans les mêmes termes par l’une et l’autre assemblée ». Aucune disposition additionnelle n’est donc acceptée, et le droit d’amendement ne s’exerce pas.
Le Sénat rappelle toutefois sur son site que la notion de « dispositions restant en discussion » n’est pas à interpréter de façon trop rigide. Il est admis que des dispositions adoptées dans les mêmes termes par les deux chambres, en principe non soumises à la CMP donc, peuvent faire l’objet d’une réécriture pour « des raisons de coordination rédactionnelle ou de cohérence ».
Les propositions de rédaction, présentées par les rapporteurs ou l’un d’eux, ne sont pas des amendements. Elles peuvent être modifiées au cours de l’examen sur proposition des membres de la CMP. Le gouvernement ne peut, lui, déposer de proposition de rédaction.
Les votes se font à main levée. En cas d’égalité, la proposition de rédaction ou l’article n’est pas adopté.
Cette CMP revêt une dimension particulière puisque les députés ne sont pas allés au bout de l’examen du texte. « La commission mixte paritaire aura forcément un rôle important, du fait que l’Assemblée ne s’est pas prononcée sur le texte. D’habitude, la CMP, c’est la négociation entre les débats qui ont eu lieu à l’Assemblée et les débats du Sénat, dans le but d’améliorer le texte. Là, ce sera une CMP un peu unilatérale, donc elle prend une dimension nouvelle », soulignait M. Savary, rapporteur du projet de loi au Sénat, à Public Sénat.
Quels sont les trois cas de figure à l’issue d’une CMP ?
- Dans un premier scénario, la CMP parvient à s’accorder sur un texte que le gouvernement soumettra aux assemblées jeudi. Un vote interviendra alors à partir de 9 heures au Sénat, puis 15 heures à l’Assemblée.
Le texte élaboré par une CMP forme ainsi un tout indissociable afin que le gouvernement le soumette en entier, et ne puisse le modifier que par amendements. A l’issue de la CMP, les parlementaires peuvent exercer leur droit d’amendement, mais dans des conditions particulières : selon l’article 45.3 de la Constitution, « aucun amendement n’est recevable sauf accord du gouvernement ». Comme pour toute lecture après la première, les amendements doivent respecter la règle de l’entonnoir – c’est-à-dire être en relation directe avec une disposition restant en discussion.
Si le texte de la CMP est adopté à l’identique par les deux assemblées, éventuellement modifié par les mêmes amendements, la loi est transmise pour promulgation. Sinon, le gouvernement peut choisir de laisser le texte repartir en navette ou bien de donner le dernier mot à l’Assemblée nationale.
- Dans un second cas de figure, la CMP se met d’accord sur un texte que le gouvernement décide de ne pas soumettre aux assemblées. Dans ce cas, la procédure législative usuelle est relancée et le texte reprend la navette jusqu’à ce que le Parlement parvienne à un accord. Il s’agit toutefois d’un cas de figure exceptionnel.
- Enfin, troisième cas de figure, il est possible que la CMP soit non conclusive, parce que ses membres ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur un texte ou parce que celui-ci n’a pas été approuvé par les assemblées. C’est en effet au moment du vote de l’éventuel texte issu de la CMP que les élus LR, divisés à l’Assemblée, joueront un rôle décisif, puisqu’il faut au camp présidentiel au moins 289 voix pour obtenir la majorité absolue – il ne dispose que de 250 élus, et la droite est la seule opposition à envisager un potentiel soutien à la réforme.
Dans ces cas de figure, la navette parlementaire reprend, à la demande du gouvernement, à l’Assemblée nationale. Si, dans ce dernier tour – davantage restreint dans le temps puisqu’il dure moins de dix jours –, les députés et sénateurs n’arrivent pas à examiner le texte, ce dernier pourra entrer en vigueur par voie d’ordonnances dès le 27 mars, ce qui ne s’est jamais produit.
Mais si le gouvernement ne souhaite pas passer par cette voie réglementaire, il dispose d’une dernière arme pour faire adopter la réforme sans vote du Parlement : user une onzième fois de l’article 49.3 depuis le début de législature, pour faire adopter la version du texte conclue en CMP et éviter une nouvelle « navette ». Un scénario politique périlleux, auquel la première ministre, Elisabeth Borne, et la majorité se refusent pour l’instant. La décision de recourir au 49.3 devra être prise dès mercredi en conseil des ministres, ou jeudi lors d’un conseil exceptionnel à l’Elysée.
Dans ce cas, les députés de l’opposition pourront déposer des motions de censure du gouvernement. Les motions seraient débattues samedi après-midi au plus tôt. Le projet de réforme serait considéré comme adopté, sauf vote d’une de ces motions, hypothèse peu probable, faute de l’apport des voix de la droite.