Marine Le Pen-Jordan Bardella, un duo entre confiance et contrôle

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Jordan Bardella a-t-il une tête de dauphin ? Les historiens du Front national (FN, devenu Rassemblement national), comme ses recrues les plus récentes, savent le sort réservé par le parti lepéniste à ses numéros deux. Il fut résumé par Jean-Marie Le Pen, dans une métaphore animalière cruelle : « Le destin des dauphins est parfois de s’échouer. » Avec lui, c’était toujours. « Le Pen », comme l’appelle sa fille, évoquait alors le sort de Bruno Gollnisch, son dauphin, dont il avait ainsi sapé les chances de prendre les rênes du parti lors du congrès de 2011. Gollnisch s’apprêtait à rejoindre les livres d’histoire du FN, comme avant lui François Duprat, Jean-Pierre Stirbois, Bruno Mégret – les deux premiers, morts prématurément, le dernier après l’échec de sa tentative de supplanter le fondateur du parti, en 1999.

Sous Marine Le Pen, leur sort n’a pas été plus favorable. Florian Philippot a été progressivement poussé vers la sortie après l’échec à l’élection présidentielle de 2017, avant d’autres cadres de premier ordre : Nicolas Bay et Marion Maréchal. « Le principe des Le Pen a toujours été de s’appuyer sur des numéros deux plus organisateurs qu’eux », rappelle l’historien Nicolas Lebourg, qui a écrit Dans l’ombre des Le Pen. Une histoire des numéros deux du FN (Nouveau Monde, 2012). « Cette partition entre l’incarnation et le machiniste a toujours provoqué des tensions et posé la question de la loyauté du second. De là naît un autre principe : le dauphin des Le Pen devient toujours son paratonnerre. »

Depuis novembre 2022, le Rassemblement national (RN) s’initie au bicéphalisme, avec un président qui n’est pas tout à fait un chef, et une cheffe que l’on appelle « Madame la présidente » depuis qu’elle dirige un groupe de 88 députés à l’Assemblée nationale. De quoi guetter avec intérêt l’évolution d’une relation jusqu’ici sans nuage, mais troublée par les initiatives récentes de Jordan Bardella.

Deux légitimités incontestables

Après des débuts timides, il s’affirme comme un numéro un bis. Son élection à la tête du parti a créé une situation inédite. Le voilà oint du suffrage militant, très largement (85 % des voix), face à un adversaire qui n’avait rien d’un faire-valoir, le maire de Perpignan et ancien numéro deux du parti, Louis Aliot. Dès lors, deux légitimités chacune incontestable se font face : celle tirée du vote des adhérents, d’une part, et, d’autre part, celle liée à l’antériorité du combat et à la présidence du groupe RN à l’Assemblée nationale.

C’est ainsi que le jeune président du RN peut s’autoriser des initiatives fortes sans solliciter l’autorisation de Marine Le Pen, comme cette interview donnée à L’Opinion, le 23 février, veille du premier anniversaire de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Il y dit ce que Marine Le Pen ne dit pas : que le retrait des troupes russes « et le retour à une souveraineté pleine et entière de l’Ukraine » sont un préalable à toute négociation de paix. Que l’armée russe multiplie les crimes de guerre. Qu’il y a eu « une naïveté collective à l’égard des intentions et des ambitions de Vladimir Poutine ». « Y compris dans notre camp », précisera-t-il, plus tard. Une pierre dans le jardin de Marine Le Pen, particulièrement avare en critiques du maître du Kremlin.

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