Jean Garrigues sur le conflit des retraites : « Au-delà de la présidence jupitérienne, c’est tout notre édifice institutionnel qui est discrédité »

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Quelle que soit l’opinion que l’on porte sur l’utilité et la pertinence de la réforme des retraites, force est de constater qu’au terme d’une séquence parlementaire désastreuse, le président de la République est désavoué par une majorité des Français. Et ce qui est plus grave encore, c’est que ce rejet massif englobe non seulement l’exécutif mais l’ensemble des acteurs institutionnels, et même au-delà, la légitimité de notre dispositif démocratique. Parce qu’il n’a pas voulu tenir compte des corps intermédiaires et de l’opinion, le monarque présidentiel a négligé une autre légitimité qui la dépasse dans la tradition française héritée de 1789 et des révolutions du XIXe siècle : celle de la souveraineté populaire. Ce faisant, il creuse le fossé déjà béant entre les deux légitimités, ce qui ouvre la voie à tous les possibles de la violence et de la démagogie.

Il y a d’abord un échec personnel pour le chef de l’Etat, et ce pour trois raisons majeures : parce qu’il a engagé une réforme que lui-même avait rejetée en 2019 ; parce qu’il a renoncé à une réforme beaucoup plus ambitieuse, celle de la retraite par points, voire à une vaste consultation démocratique englobant les retraites autour des nouveaux paradigmes du travail ; enfin, parce qu’il a refusé une véritable négociation avec les partenaires sociaux, contrairement à tous ses prédécesseurs.

Son refus de recevoir les leaders syndicaux, sous prétexte de respecter le temps parlementaire, a été interprété, à tort ou à raison, comme un signe de mépris envers le mouvement social. Ce président qui nous promettait en 2017 une « révolution » en a donc été réduit à cette réformette libérale et gestionnaire, sous la pression des contraintes budgétaires de la Commission européenne ainsi que des nécessités électoralistes qui l’ont poussé à se rapprocher du parti Les Républicains (LR).

Antiparlementarisme atavique des Français

Et l’on touche ici à la deuxième strate de l’échec, qui concerne la démocratie parlementaire. En choisissant de limiter à cinquante jours le temps du débat, puis en utilisant tout l’arsenal législatif et réglementaire du parlementarisme rationalisé, le gouvernement a marqué sa défiance envers la représentation nationale. A sa décharge, il s’est heurté à la stratégie de conflictualité de La France insoumise qui a conduit non seulement à l’obstruction parlementaire, mais aussi à des comportements inacceptables et contraires à la sacralité républicaine du Parlement. Le spectacle offert par les députés n’a pas été à la hauteur des attentes des citoyens. Par ailleurs, la négociation politique avec LR est apparue aux Français comme un marchandage purement opportuniste, et finalement inefficace. Enfin, le recours au 49.3, procédure qui n’est plus acceptée par l’opinion, a achevé de discréditer toute la séquence parlementaire, renforçant de ce fait l’antiparlementarisme atavique des Français.

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