Manifestations à Paris : « C’était un réflexe idiot, je n’ai jamais rien incendié de ma vie »

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Les mains croisées sur la rambarde du box des accusés, ils patientent sagement. Avec leur look des années 1970, on les croirait venus d’une autre époque. Ce lundi, après deux nuits passées au poste, Edwige et Jonathan, 20 ans, comparaissent devant la 23e chambre du tribunal correctionnel de Paris pour « dégradation ou détérioration du bien d’autrui par un moyen dangereux pour les personnes ».

Ces étudiants sont accusés d’avoir mis le feu à une poubelle et de l’avoir ensuite attisé. Ils font partie des 122 personnes interpellées à Paris, samedi 18 mars, lors des manifestations contre la réforme des retraites et contre le recours au 49.3.

Philo à Nanterre

Dans la salle 6.01, après avoir entendu une lourde affaire de proxénétisme, on découvre le parcours de ces deux jeunes idéalistes et camarades de fac, un parcours qui détonne en comparution immédiate. Ces « jeunes gens », comme le souligne la présidente, un brin dépitée, sont « parfaitement insérés ». Elle, toute frêle, flottant dans une veste en cuir de friperie, cheveux noirs et ongles peints, est en troisième année de licence de philo à Nanterre.

À LIRE AUSSI« La vraie violence, c’est le mépris » : à Rennes, le 49.3 a mis le feu à la villeOriginaire de Bordeaux, Edwige se destine à l’enseignement. La jeune femme est serveuse le week-end et donne des cours de piano pour payer le loyer de son appartement parisien, qu’elle partage avec son petit ami. Mais, avant cela, sa vie n’a pas été si « simple », précise la présidente.

Son père a été condamné pour violences conjugales, on comprend que la relation avec sa mère a été compliquée, la jeune femme est suivie psychiatriquement, « pour schizophrénie » informe la cour. « Mon objectif, c’est d’avoir le capes l’année prochaine, et une vie sereine, surtout ! » plaide Edwige, la voix posée et le port altier, qui contrastent avec son visage enfantin.

Lui, un faux air de John Lennon, cheveux longs, petites lunettes rondes et col pelle à tarte, est également connu pour avoir eu des difficultés d’ordre psychiatrique : une bipolarité et des conduites addictives. Après un BTS en informatique en province, Jonathan, qui réside près de Saint-Germain-en-Laye, entame sa première année de philo à Nanterre et vise l’agrégation.

« Ça laisse songeur sur l’avenir »

Comment ces deux étudiants, sans antécédents judiciaires, se sont-ils retrouvés sur le banc des prévenus après quarante-huit heures de garde à vue ? À 22 h 06, samedi, ils se trouvaient aux abords de la fontaine des Innocents (Paris 1er). C’était la fin d’une manifestation contre la réforme des retraites et l’usage du 49.3, Edwige et Jonathan étaient en fin de cortège. Ce dernier se défend : « Tous les autres ont fui les CRS qui arrivaient ; nous, on s’est juste mis sur le côté. Les deux feux étaient déjà allumés. »

Ce n’est pas la version du policier, qui dit avoir vu la jeune femme avec un briquet et un papier mettre le feu et le jeune homme l’attiser. Les flammes sont suffisamment importantes pour nécessiter l’intervention des pompiers. La procureure se demande pourquoi ils ont fait ça, au milieu des arbres et des gens. « Ça laisse songeur sur l’avenir et sur les autres manifestations », commente-t-elle avant de requérir cent quarante heures de travaux d’intérêt général (TIG).

Je n’ai pas très bien compris pourquoi vous avez mis des trucs dans la poubelle.La présidente de la cour

L’avocate de la défense, Marion Berthe, reconnaît que sa cliente a en effet jeté un objet dans la poubelle mais que cette dernière était déjà embrasée avant son arrivée. Pour appuyer son propos, elle cite le procès-verbal du policier, seul témoin de la scène, qui déclare qu’un individu « à capuche grise » a allumé le feu. Or ses clients n’ont pas de capuche…

Pour la présidente, qui a visionné les images de vidéoprotection de la soirée, il n’y a pas de doute : « On voit que ce n’est pas vous qui mettez le feu. Ensuite, vous mettez des gobelets dans la poubelle… Bon, voilà ce qu’on a. Je n’ai pas très bien compris pourquoi vous avez mis des trucs dans la poubelle. »

Edwige tente d’expliquer son geste : « Je pense que j’ai juste pris quelque chose comme ça pour combler le vide, ce n’était pas réfléchi ni médité. C’était juste un réflexe idiot, admet-elle. Je n’ai jamais rien incendié de ma vie. » Les deux étudiants sont relaxés. Edwige reste bouche bée à l’annonce du verdict.

Quelques heures plus tôt, devant la même cour, un autre étudiant, Pierre, 19 ans, était jugé pour avoir mis le feu à une poubelle, place d’Italie (Paris 13e), samedi dernier. Le jeune homme, en sweat à capuche et cheveux filasse, a reconnu, lui, avoir poussé une poubelle dans un feu déjà existant. C’était sa première manifestation, il était « un peu exalté » après avoir bu une bière. Son exaltation lui vaudra soixante-dix heures de TIG.

« On va remplir les prisons »

Dans la salle 6.04, également dédiée aux comparutions immédiates, c’est au tour de Guillaume de comparaître juste après une affaire de violences conjugales. À 24 ans, il est accusé, entre autres faits, d’outrage à agent et de rébellion. Ce chef cuisinier aurait, le 17 mars, traité de « bande de bouffons » des policiers avant de résister avec violence et de se débattre – entraînant trois jours d’incapacité temporaire de travail (ITT)). Le prévenu, dont le casier comporte déjà une mention – réhabilitée, d’après son avocate –, demande un délai pour assurer sa défense.

En attendant, le président revient sur son parcours. Mis à la porte de chez lui par son père à 18 ans et sans nouvelles de sa mère, il doit justifier de son absence de domicile fixe à Paris. Longtemps saisonnier, il explique avoir « bougé partout en France » avant d’obtenir son premier poste de chef en CDI dans un restaurant du nord de Paris.

À LIRE AUSSIDevant la Cour nationale du droit d’asile, drames, espoirs et colèresConsommateur régulier de cannabis, il a été reconnu coupable, par le passé, de fourniture d’identité imaginaire et de rébellion. La procureure demande son placement en détention provisoire en raison de sa « situation d’errance », craignant qu’il ne se représente pas lors de son prochain jugement.

Son avocate s’insurge contre des « réquisitions ubuesques » : « Il y a eu plus de 400 gardes à vue ces derniers jours, on va remplir les prisons maintenant après avoir rempli les commissariats ! » Et de reprendre à son compte les revendications du Syndicat de la magistrature qui martèle, dans un communiqué du 20 mars, que « l’autorité judiciaire n’est pas au service de la répression du mouvement social ». Le président rappelle que la cour est composée de « magistrats du siège indépendants qui ne jugent pas en fonction des pressions, quelles qu’elles soient ».

« Fils à Macron »

Jessy, la trentaine, apparaît dans le box un pansement sur le front. Ce cariste intérimaire est accusé d’outrage, de violence et d’injures racistes sur un fonctionnaire de police. Son avocat, Thomas Vanzetto, qui reconnaît un « rapport conflictuel avec l’autorité » de son client, dénonce une procédure irrégulière. Jessy, barbichette et sweat noir, se serait retrouvé dans la manifestation, samedi soir, un peu par hasard.

« À la base, je ne suis pas un manifestant, jure-t-il. Je suis allé rejoindre un ami place d’Italie et, quand j’ai vu les CRS arriver, c’est là que j’ai compris. On s’est retrouvés bloqués malgré nous. […] Je me souviens d’avoir dit à ce CRS d’arrêter de me pousser, ensuite j’ai poussé son bouclier. »

Ce n’est pas moi, avec mes petites mains, qui ai pu casser le casque d’un CRS !Un prévenu

Le président lui demande : « Avez-vous brisé la visière de son casque ? 

– Ce n’est pas moi, avec mes petites mains, qui ai pu casser le casque d’un CRS ! Si c’était le cas, j’aurais des marques sur les mains [il les montre à la cour]. 

– Avez-vous déclaré avoir été frappé par un “nègre” ?

– Tout cela a été inventé, je ne suis ni raciste ni homophobe ! Cette procédure a été inventée pour justifier le coup de matraque du CRS. »

Une juge demande : « Y’a-t-il une photo du casque dans la procédure ? » Réponse : « Non. »

Sur un extrait de vidéo, que Le Point a visionné, on aperçoit un homme, dans la foule, pousser avec ses mains le bouclier d’un CRS et ce dernier riposter en lui donnant un coup de matraque sur la tête. Il apparaît ensuite face caméra le front en sang. Une blessure qui a entraîné trois jours d’ITT pour le prévenu.

La procureure ajoute que des éléments à charge ont été retrouvés dans le téléphone de Jessy. Il filmait les CRS avec des commentaires de ce genre : « Alors, ils sont où, les fils à Macron ? », « Là, ils rigolent bien de mettre des coups de gazeuse ; quand ils crament au cocktail Molotov, ils rigolent moins ».

« J’ai été gazé à plusieurs reprises, j’étais dégoûté et… un petit peu en colère. J’ai été stupide, oui. » Son jugement est reporté à avril.

Source: lepoint.fr