Mais qui veut la peau de nos élus ?

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Les chiffres sont parlants. 1 720 affaires de violences verbales et physiques contre les élus enregistrées en 2021, 2 265 en 2022. Sur fond de contestation contre la loi Retraite, l’année en cours démarre sur les chapeaux de roues. Elle verra probablement tomber ce triste record dévoilé le 15 mars par le ministère de l’Intérieur.

La ministre chargée des collectivités territoriales, Dominique Faure, a rencontré ce jour-là des élus victimes. Elle a annoncé dans la foulée la création d’une « cellule d’analyse et de lutte spécifiquement dédiée à la lutte contre les atteintes aux élus », avec un train de mesures législatives dédiées « avant l’été ».

Il y a urgence. Dernier grave incident signalé, les voitures et le logement du maire de Saint-Brévin (44) Yannick Morez ont été incendiés dans la nuit de mardi à mercredi 22 mars. « Nous avions écrit au procureur il y a un mois et au préfet de Loire-Atlantique en janvier après des menaces, rappelle le cabinet du maire. Nous n’avons jamais eu de réponse. »

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La piste criminelle ne fait aucun doute. Les gendarmes sont au travail. Qui a pu commettre un tel acte, passible des assises ? La mairie se refuse à toute conjecture, mais le projet de centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) est dans tous les esprits. Il crée de vives tensions à Saint-Brévin depuis plus d’an entre « pro » et « anti ». Le maire y est favorable, il l’a dit, mais ce centre n’est pas un projet municipal. Pourquoi l’attaquer de nuit, à domicile ?

Haïs pour de bonnes raisons

Les courageux anonymes qui s’en prennent aux élus locaux semblent parfois avoir des motivations obscures. Dans le cas des saccages récents de permanences de députés ayant défendu le projet de loi sur les retraites, il y a peu de doutes, mais les lettres de menaces et d’insultes reçues par le député Renaissance du Val-de-Marne Frédéric Descrozaille laissent vraiment perplexe.

Elles faisaient suite à une proposition de loi technique, votée à l’unanimité à l’Assemblée, visant à encadrer les négociations entre les centrales d’achat et leurs fournisseurs. « Le député n’a même pas pris parti pour un camp contre l’autre, rappelle son collaborateur, Yassine Kamili. Sa proposition vise à prévenir les blocages. Pourtant, c’est parti en vrille sur les réseaux sociaux. Franchement, je ne suis pas sûr que tous ceux qui nous écrivent aient lu le texte. » Litote. Plusieurs parlementaires ont vécu la même expérience. Ils reçoivent parfois en une journée 200 mails copiés-collés d’un modèle-type. « Certains envoyeurs laissent même l’en-tête, “voici la liste des députés à qui écrire, etc.” », se désole Yassine Kamili.

Je ne sais pas qui sont les auteurs de menaces, mais je sais qu’il est temps d’agir.

Certains se font haïr pour de très bonnes raisons, comme la lutte contre le trafic de drogue, mais ils sont rares. Le maire LR de Bron (Rhône), Jérémie Bréaud, a été placé sous protection policière en mars 2021, suite à des tags lui promettant le même sort que Samuel Paty.

« Je ne sais pas qui sont les auteurs de menaces, mais je sais qu’il est temps d’agir », s’emporte le sénateur de la Manche Philippe Bas. En 2019, il a rendu au Sénat un rapport alarmant sur les agressions dont les élus locaux étaient la cible. Il avait fait réaliser un sondage auprès de 3 812 élus. 92 % signalaient des violences au moins verbales et 14 % des violences physiques. « Un sur six ! s’exclame le sénateur. Et cela ne s’est pas arrangé avec le temps, j’en ai peur. Les élus se dévouent, prennent sur leurs loisirs, ce n’est pas pour se faire maltraiter. Il ne faudra pas s’étonner si on manque un jour de postulants. »

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Depuis les municipales de 2020, quelque 900 maires ont déjà démissionné, soit deux fois plus que pendant les deux premières années de la mandature précédente. La charge de travail écrasante est le premier motif invoqué, très loin devant le climat de violence latente que dénoncent de très nombreux élus, mais selon un maire de commune rurale élu en 2020, les deux sont peut-être liés. « Depuis le début de mon mandat, je me rends compte qu’on harcèle les administrés. Des jeunes qui enfreignent le couvre-feu en période de Covid : amende. La petite mamie qui a brûlé ses mauvaises herbes dans son jardin : amende. Le plombier qui a lavé sa camionnette pendant la sécheresse : amende. Le maraîcher bio qui a demandé à sa copine de l’aider à vendre trois tomates sur les marchés : redressement Urssaf pour travail dissimulé. Ils se tournent vers la mairie parce que c’est un endroit où on peut encore parler à quelqu’un, on essaye d’arranger les choses, on n’y arrive pas et on finit par leur dire : c’est la loi. On se fait détester. »

Des administrés à bout de nerfs

L’événement déclencheur du rapport de Philippe Bas est éloquent, à cet égard. Le 5 août 2019, le maire de Signes trouvait la mort dans une altercation avec un jeune artisan. Il l’avait surpris en train de se débarrasser de gravats. Peine encourue, 68 € pour un particulier, 75 000 € d’amende et deux ans de prison pour un professionnel ! Furieux et paniqué, l’artisan a renversé l’élu en repartant précipitamment au volant de sa camionnette, avant l’arrivée des gendarmes. La percussion volontaire a été écartée par l’instruction. ll a été condamné à un an de prison ferme en mars 2022.

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En contexte moins sensible, « les mauvais coucheurs ne sont pas si nombreux », relativise Philippe Bas. Le sénateur préconise de donner aux maires des pouvoirs d’amende forfaitaire, pour renforcer leur autorité, mais en gardant à l’esprit que « la négociation avec les administrés doit rester fondamentale ». Mais que faire si ces derniers n’ont plus envie de négocier ?

« Je refuse de voir des députés de mon groupe, ou tout député de la Nation, avoir peur de leur expression individuelle, peur de voter librement, car ils craindraient des représailles », a écrit la semaine dernière la présidente du groupe de la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale, Aurore Bergé, dans un courrier à Gérald Darmanin. En revenant dans leur circonscription cette semaine après l’épisode du 49.3, plusieurs députés ont été placés sous la protection des gendarmes. Pour combien de temps, c’est toute la question. Ils ont encore plus de quatre années de mandat devant eux, en théorie.

Source: lepoint.fr