Réforme des retraites : face à la crise, les limites du claquement de doigts
Confronté aux risques d’une crise sociale, politique et démocratique après le passage au forceps de la réforme des retraites par la voie du 49.3, Emmanuel Macron s’est expliqué devant les Français, mercredi 22 mars, sans pour autant ménager les syndicats. A partir du moment où il était acquis qu’il n’annoncerait pas le retrait du projet de retraite à 64 ans, sa décision de parler au « 13 heures » de TF1 et de France 2, à la veille de la neuvième journée de mobilisation, ne pouvait être perçue par ces derniers que comme une provocation. Parmi les plus sévères, Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, a accusé le chef de l’Etat de « déni et de mensonge », après s’être vu reprocher de n’avoir pas su proposer de compromis sur la réforme.
Les syndicats sont furieux, la rue menace de s’embraser chaque nuit, le président résiste. A la façon de Nicolas Sarkozy, qui, en période de tensions, cherchait d’abord à souder son électorat, Emmanuel Macron a opté pour une posture offensive mais risquée. Il a défendu sa décision de faire travailler les Français plus longtemps en tentant de transformer en force ce qui fait la faiblesse de son second mandat. Faute de pouvoir se représenter en 2027, seuls comptent l’intérêt général et le temps long. Ainsi a-t-il plaidé, assumant l’impopularité de la réforme, mais concédant regretter de n’avoir pas réussi à en faire partager la nécessité.
Tout paraît bancal et fragile
En adoptant cette position de surplomb, le réélu de 2022 s’est transformé en procureur des blocages français, qu’il a mis sur le compte d’un manque de « lucidité collective », d’une difficulté à « partager les contraintes » et du jeu de défausse pratiqué par les oppositions. Dans la foulée, Emmanuel Macron a tenté d’élargir sa base en courtisant l’électorat libéral de droite. Alors que le Rassemblement national devient de plus en plus menaçant, il a placé la fin du quinquennat sous le signe du plein-emploi, de la lutte contre l’assistanat et de l’ordre républicain.
Dans un contexte où tous les acteurs publics souffrent d’un déficit de légitimité et où les oppositions, virulentes, sont incapables de construire une majorité alternative, le pari de la cohérence offre une toute petite capacité de rebond. Encore faut-il que les conditions de l’atterrissage soient bien négociées. Or, à ce stade, tout paraît bancal et éminemment fragile : aucune alliance ne se dessine avec des élus Les Républicains, divisés et rétifs à monter dans la galère. La première ministre, Elisabeth Borne, en sursis, dispose d’un petit mois pour tenter d’élargir la majorité et de rebâtir un agenda susceptible de décrisper l’atmosphère.
Le projet de loi sur l’immigration, qui risquait d’enflammer l’Assemblée nationale, est mis à la découpe ; à propos de l’école, de la santé, de l’écologie, des actions concrètes et immédiatement visibles sont invoquées qui ne passeront pas forcément par ce Parlement trop frondeur. L’idée d’une contribution exceptionnelle visant les entreprises qui font des bénéfices record est lancée dans le débat, sans autre précision.
Plus surprenant encore, le président de la République agit comme si la crise était déjà derrière lui en tendant la main aux partenaires sociaux pour qu’ils s’emparent des sujets révélés par le conflit : l’usure professionnelle, les fins de carrière, les petits salaires. C’est peut-être aux yeux des syndicats la provocation de trop, car, si depuis six ans le dialogue apparaît si difficile à construire, l’hôte de l’Elysée y est pour quelque chose. Pour que le pays avance, un président de la République se doit de savoir fabriquer du consensus. A ce stade, on n’y est pas du tout.