« Les politiques publiques ont perdu le sens de leur mission et de leur utilité »

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De 2009 à 2019, la France a été l’un des rares pays européens à augmenter ses dépenses de protection sociale en faveur de la grande exclusion (de 0,9 % à 1,2 % du PIB). En proportion, notre pays dépense environ le double de la moyenne de ses voisins dans ce domaine. Pour quel résultat ? Le taux de pauvreté à 60 % du niveau de vie médian a augmenté sur la même période, de 13,5 % à 14,6 %, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques.

Ainsi, alors que le nombre de places en hébergement n’a jamais été aussi élevé (200 000), que les initiatives en faveur de l’insertion professionnelle des plus précaires se multiplient, que la crise ukrainienne a montré un élan formidable de solidarité en faveur des familles fuyant la guerre (plus de 110 000 Ukrainiens ont été accueillis), il flotte un sentiment de malaise.

Ce malaise, ce sont d’abord les difficultés vécues par les personnes précaires au quotidien, renforcées par le retour de l’inflation. Ce sont les femmes et les hommes qui, chaque soir, n’obtiennent aucune réponse du 115 et restent de plus en plus nombreux à la rue, en dépit des places d’hébergement créées. C’est l’allongement des files d’attente aux distributions alimentaires, en particulier des étudiants. C’est l’extension des campements en marge des métropoles, la multiplication des cas de prostitution de mineures, la persistance de « scènes de consommation » de drogue au cœur des villes, avec leur lot de violences…

Insupportable quotidien

Ce malaise, c’est encore l’augmentation de phénomènes de rejet, parfois violents, des plus précaires ou de ceux qui les accompagnent. Qu’ils soient migrants, sans-abri marginalisés, chômeurs de longue durée ou encore jeunes désocialisés, ils sont considérés comme des « autres », qu’il faut soit cacher, soit éloigner, soit contraindre à intégrer de force un « programme ». Bien sûr, un consommateur de drogue appelle des soins ; faut-il pour autant n’y voir qu’un usager irresponsable, là où l’addiction vient souvent mettre un couvercle sur l’insupportable quotidien de la grande précarité, fait de violences, de vexations et de problèmes de santé ? Bien sûr, l’immigration doit être régulée ; faut-il pour autant laisser attendre de nombreuses personnes sans aucune perspective d’intégration, sans permis de travailler, au risque de voir leur santé mentale se dégrader (si les réfugiés ukrainiens se sont intégrés, c’est aussi parce qu’ils avaient, eux, le droit de travailler…) ?

Ce malaise, c’est enfin la crise de sens du travail médical et social, et plus généralement des métiers de l’humain et du contact. Non seulement ces métiers ont été progressivement déclassés, alors que jamais il n’a autant été nécessaire de recoudre les maux de la société et que la crise due au Covid-19 a montré que leur action est vitale. Mais surtout, le sens de leur mission est d’autant plus difficile à trouver que, bien souvent, elle conduit davantage à invisibiliser plutôt qu’à réintégrer les personnes qui vivent aux marges de la société.

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