En Polynésie, le service militaire adapté s’est rendu indispensable

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Journée d’accueil des nouvelles recrues au Service Militaire Adapté, à Papeete, Polynésie française, en octobre 2019.

Sabrina Tiatoa a confié son petit garçon de 5 ans à l’amour de ses grands-parents. Pour échapper à « un gros problème familial », elle a quitté sans hésiter les monts boisés de l’île de Raiatea, en Polynésie. A près de 1 000 kilomètres, à l’autre bout du territoire, sur l’atoll de Hao, dans l’archipel des Tuamotu, la jeune femme de 21 ans a poussé la porte du service militaire adapté pour « devenir autonome ». Ce régiment un peu spécial, à vocation d’insertion professionnelle, est sa planche de salut. L’espoir d’une vie. Pour elle.

Dans la famille de Mere Teihotaata, sur l’île de Tahaa, les filles restent à la maison. A 24 ans, volontaire comme Sabrina, Mere entend « se débrouiller toute seule ». Elle rejoint l’armée avec son CAP petite enfance dans la poche, contre l’avis de sa mère. « Chez nous, il n’y a pas de travail. Tous les enfants pensent s’engager dans l’armée. Je veux une vie stable. »

La journée commence à 4 h 30 sur le camp de Hao. La cérémonie de levée des couleurs se tient à 5 h 45, les activités débutent à 6 h 30, l’on chante à midi sous les ordres du sous-officier de permanence… Pas d’armes, mais de la discipline. Pas de guerre, mais des batailles contre un destin difficile.

« Je vais faire quelque chose de ma vie »

La formule du régiment de service militaire adapté (RSMA), née en 1961 aux Antilles pour répondre à une grave crise sociale, a survécu à la fin de la conscription, dans les outre-mer. L’armée s’y enracine depuis en jouant au lycée professionnel, offrant aux 18-25 ans diverses formations techniques réclamées par les entreprises locales, le permis de conduire, un salaire de 300 euros par mois, un accompagnement social. « J’ai déconné, j’ai dealé du paka [du cannabis] ! Fini, les conneries de jeunesse ! », lance, en riant, Hoani Pater, 25 ans, bras croisés sur son treillis. Le garçon venu de Moorea n’a jamais vécu avec ses parents. « Depuis mes 11 ans, je me suis débrouillé seul avec ma sœur, j’ai subvenu à nos besoins. On cherchait des petits boulots, on allait à la pêche. Je ne vais pas m’engager, mais je vais faire quelque chose de ma vie, à Tahiti. »

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Le RSMA doit sillonner à grands frais les atolls dispersés de Polynésie pour trouver des stagiaires, car le gouvernement du territoire veut que leurs enfants prennent cette chance de devenir des adultes autonomes. A Tahiti, l’île-capitale, la bonne réputation du dispositif le conduit à tourner à plein régime – attirant cinq fois plus de candidats que de places.

Dans ce rôle très politique, l’armée s’est rendue indispensable en faisant consensus, loin des débats sur la « dette nucléaire » due par la France pour avoir testé sa bombe atomique dans le Pacifique de 1966 à 1996. « Le fardeau de l’après-CEP », le Centre d’expérimentation du Pacifique, chargé des essais, « s’est avéré bien lourd à porter », rappelle l’anthropologue Bruno Saura, dans Histoire et mémoire des temps coloniaux en Polynésie française (Au vent des îles, 2015). « Socialement et économiquement, les défis urbains se sont accumulés dans une île de Tahiti où, rompant avec leurs activités traditionnelles, étaient venus se fixer en une génération des dizaines de milliers d’originaires des autres îles », écrit-il, en évoquant « l’héritage d’un empoisonnement lent et durable de la société ».

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