« des défaillances d’une extrême gravité »
La commission d’enquête parlementaire a rendu son rapport sur les circonstances ayant mené à l’assassinat du détenu nationaliste, en mars 2022. Sa famille envisage de déposer plainte.
De notre correspondant à Bastia, Julian Mattei

© PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP
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« La gravité des fautes commises est telle qu’il n’apparaît pas possible de se laisser convaincre par leur caractère exclusivement involontaire. » Me Emmanuel Mercinier-Pantalacci donne le ton. Quelques heures après la publication, mardi, du rapport d’enquête parlementaire chargé d’éclaircir les circonstances de l’assassinat d’Yvan Colonna par un codétenu en mars 2022 à la maison centrale d’Arles (Bouches-du-Rhône), l’avocat de la famille du nationaliste n’en démord pas.
« Les conclusions de ce rapport confirment deux réalités que toute personne connaissant ce dossier savait déjà, appuie le pénaliste. Premièrement, le statut de détenu particulièrement signalé (DPS) a été imposé à Yvan Colonna durant toute son incarcération sur la base d’une motivation politique et non juridique, ayant eu pour objet de lui infliger une double peine. Deuxièmement, cet assassinat a été rendu possible par des défaillances d’une extrême gravité commises au sein de la pénitentiaire ; des défaillances constitutives d’infractions pénales susceptibles de nous conduire à déposer plainte dans les prochains jours. » Une série de « défaillances » et d’« erreurs. » Ce sont en effet les conclusions sans appel de la commission présidée par le député nationaliste Jean-Félix Acquaviva.
« C’est un djihadiste radicalisé qui a assassiné Yvan Colonna. Pas l’État français »
La commission, qui a entendu 71 personnes au cours de ces six mois de travaux, relève également un « défaut de surveillance » au sein de la prison d’Arles, ayant permis à Franck Elong Abé, ancien djihadiste en Afghanistan, d’agresser mortellement, durant une dizaine de minutes, le détenu nationaliste condamné pour l’assassinat du préfet Erignac, en 1998.
À LIRE AUSSIAgression d’Yvan Colonna : « deux préfets en activité » se seraient réjouisLes travaux des députés ont été suivis de près dans le monde politique corse. Et pour cause : l’indignation liée à cette affaire avait largement débordé dans la rue et donné lieu, en mars 2022, à l’ouverture d’un processus de discussions entre le gouvernement et les élus insulaires. Processus censé déboucher sur une possible « autonomie » de l’île. « La vérité chemine peu à peu, estime Jean-Charles Orsucci, maire (Renaissance) de Bonifacio. Cette mort tragique est le résultat d’une série d’errements de l’autorité carcérale. Ce rapport le met en exergue. C’est un djihadiste radicalisé qui a assassiné Yvan Colonna. Pas l’État français. Même s’il n’aurait jamais dû se trouver à Arles mais à Borgo. »
À LIRE AUSSICorse : un an après, les zones d’ombre qui entourent le meurtre d’Yvan ColonnaCe proche de la majorité présidentielle espère que les conclusions des députés mettront fin aux théories du complot qui font florès dans l’île depuis la mort du nationaliste. Il met également en évidence les refus répétés des autorités à faire droit à une demande de rapprochement dans une prison corse d’Yvan Colonna, en raison de son placement sous le statut de DPS. Ce point fait d’ailleurs partie des 29 recommandations émises par les parlementaires : une réforme « impérieuse » de ce statut, ainsi que l’amélioration de la prise en charge des détenus, a fortiori ceux « radicalisés et dangereux. »
« La recherche de vérité conduira à l’apaisement »
« On ne peut que s’interroger sur cette catégorie de détenus qui nécessitent d’être particulièrement observés et neutralisés, appuie Jean-Martin Mondoloni, leader de l’opposition de droite à l’Assemblée de Corse. Cette affaire met une nouvelle fois en évidence l’état de dégradation du milieu carcéral qui n’étonne plus personne, et qui est à l’image de bon nombre de politiques publiques dans notre pays. »
Michel Castellani, député autonomiste de Haute-Corse va, lui, plus loin et appelle l’État à tirer les enseignements de cette affaire à travers sa politique carcérale. « Comment un détenu particulièrement signalé comme Franck Elong Abé, avec un parcours carcéral aussi chaotique, peut-il se retrouver avec une telle liberté de circulation et sans surveillance ?, interroge-t-il. Il s’agit là de graves dysfonctionnements et l’administration pénitentiaire doit tirer les leçons de ce drame. »
Dans un contexte tendu sur l’île, où la reprise des attentats vient s’ajouter aux difficultés rencontrées dans les discussions avec le gouvernement, l’élu nationaliste ne cache pas la dimension politique de ce rapport, qu’il rattache à « la recherche de vérité qui conduira à l’apaisement. » Car l’avenir de l’île et les relations entre la majorité nationaliste et le gouvernement sont aussi intimement liés aux suites qui seront données aux travaux des parlementaires.