D’où vient notre goût pour le climat ?

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Le climat n’a peut-être pas d’avenir, mais il a un passé. Puisqu’il est devenu, à juste titre, la première des préoccupations, le dérèglement de notre écosystème se résume à une cause politique. Les indignations sont nombreuses ; leurs effets, discrets. À l’image, diront certains, des résultats à peine passables d’Europe-Écologie-Les Verts. Alors que les conséquences du réchauffement sont évidentes, l’écologie, du moins dans sa version militante, ne rassemble pas. Et si la faute en revenait à un impensé, l’histoire de notre goût pour le climat ?

À LIRE AUSSIDérèglement climatique : « C’est l’ensemble du droit international qu’il faut écologiser » Il y a quelques années, Alain Corbin rassemblait trois conférences dans un petit livre dense et passionnant, Le Ciel et la Mer. L’occasion pour un des historiens les plus créatifs d’établir une généalogie de notre sensibilité à la chaleur, au froid, à la pluie, à la mer, au ciel, aux montagnes. Ce récit s’inscrit dans celui des Lumières, où une génération d’intellectuels a combattu les superstitions en promouvant la science. Ce qu’on appelle alors les météores sont encore perçus, à la fin du XVIIe siècle, comme des manifestations divines ou sataniques.

Des hommes lient la quête de leur autonomie à la domestication, ou du moins à l’appréhension, de la nature, parfois de façon symbolique : des individus, au XVIIIe siècle, découvrent l’alpinisme en même temps qu’ils fondent les sciences qui lui sont liées, à l’image de Saussure, un des premiers grimpeurs à atteindre le sommet du Mont-Blanc. Dominer les montagnes reviendrait-il à dominer la nature ?

Au XIXe siècle, lequel n’a pas été si rationnel qu’on le prétend, la rencontre entre une humanité convaincue par le progrès et une nature face à laquelle elle se retrouve pourtant désarmée favorise des stéréotypes aussi charmants que ridicules. « Les classes laborieuses étant perçues par les élites comme des classes soumises aux intempéries, donc endurcies et devenues moins sensibles, le roi Louis-Philippe, lors des voyages en province, refuse délibérément toute protection contre la pluie, afin de symboliquement se mouiller avec le peuple. » Cette opération de communication sera reprise sous la IIIe, la IVe et la Ve République. Parfois avec zèle, comme l’ont montré les images de François Hollande prononçant des discours sous une pluie diluvienne.

À LIRE AUSSIAvec le réchauffement climatique, bienvenue dans la France de 2050La littérature, à l’image des romans de Jules Verne, met en scène des expéditions extravagantes où des scientifiques sûrs de leur fait sont pris au piège des volcans, des ouragans, des tempêtes, bref de phénomènes naturels invincibles et effrayants. L’homme a l’air de prendre du plaisir à redécouvrir les frontières qu’il croyait avoir abolies en se débarrassant de Dieu.

Mélange de science et de croyance

Les gouvernements ordonnent à leurs administrations des mesures toujours plus précises des phénomènes météorologiques. Les navigateurs sont tenus de consigner le temps qu’il fait ; les préfets se doivent, jusqu’à la moitié du Second Empire, de rédiger les « états des récoltes », fondés sur des évaluations précises des précipitations, lesquelles détermineront naturellement « le manque, la disette, plus encore, le trouble frumentaire ».

Ce mélange de croyance et de science, de prévoyance et de tâtonnement finit par ressembler à ce que nous avons l’habitude d’appeler une culture, laquelle est reliée de façon plus ou moins ténue au passé. Michel Foucault, qui décidément avait parfois de bonnes intuitions mais pas le moindre sens esthétique de la langue française, appelle cela « la technologie des endurcissements » : l’hiver était une épreuve à caractère darwiniste, on dirait « viriliste » aujourd’hui, à quoi seuls les plus forts pouvaient résister. La chose était aussi valable pour la chaleur extrême.

À LIRE AUSSIFOG – « Écologie politique » : le totalitarisme qui vientLa poésie de la météo, les croyances, les convictions, disons même l’idée de l’ordre social qui parfois pouvait en découler ont pris fin au XXe siècle. Où, tout à coup, l’objet de toutes les passions est devenu l’objet de toutes les inquiétudes. Ces craintes ne relevaient plus, comme au XIXe, de fantasmes consécutifs à l’ignorance, mais de certitudes déterminées par la connaissance. Et le climat de quitter le domaine de la métaphysique pour rallier celui de la politique.

L’écologie politique néglige, dans son discours comme dans sa culture, la puissance de l’identité, qui lui permettrait de renouer avec l’histoire du progressisme dont elle s’est écartée, ne disons pas échappée. Les forces du passé ne sont pas réactionnaires par nature ; et leurs effets dépassent de loin les bibliothèques et les archives. Elles permettent, à ceux que ça intéresse, d’inscrire leur entreprise dans une continuité et favorisent la reconnaissance mutuelle entre des idées et des individus concernés par elles, à savoir des êtres humains.

Référence livre :

Alain Corbin, Le Ciel et la mer, Paris, Champ Flammarion, 2005.

Arthur Chevallier, né en 1990, est historien et éditeur chez Passés composés. Il a été commissaire de l’exposition « Napoléon » (2021), produite par le Grand Palais et La Villette. Il a écrit plusieurs livres consacrés à la postérité politique et culturelle de Napoléon Bonaparte et du Premier Empire, « Napoléon raconté par ceux qui l’ont connu » (Grasset, 2014), « Napoléon sans Bonaparte » (Cerf, 2018), « Napoléon et le bonapartisme » (Que sais-je ?, 2021) ou encore « Les Femmes de Napoléon » (Grasset, 2022).




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