« Nous devons rester dans la rationalité sans porter un discours de panique »

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LGIEC entame son septième cycle. Le nouveau bureau va commencer ses travaux lors d’une période charnière, alors que nous venons de traverser le mois de juillet le plus chaud jamais enregistré sur Terre et que les événements climatiques extrêmes se multiplient, des températures records en Méditerranée aux pluies diluviennes à Pékin. Des mesures vont devoir être mises en place pour s’adapter à ces conditions extrêmes et limiter les émissions de gaz à effet de serre, dont la baisse est encore insuffisante.

Le climatologue et météorologue français Robert Vautard, spécialiste des événements extrêmes, a été élu coprésident du groupe 1 du Giec, chargé de la synthèse des connaissances scientifiques sur l’évolution du climat, par les représentants des 195 États membres réunis en assemblée plénière à Nairobi, au Kenya. Chercheur au CNRS et directeur de l’institut Pierre-Simon-Laplace, âgé de 60 ans, le scientifique succède ainsi à Valérie Masson-Delmotte pour un mandat de cinq à sept ans, le temps nécessaire à l’établissement d’un rapport. Il explique au Point les défis qui l’attendent.

Le Point : Quels seront les objectifs et les défis du Giec pour ce septième cycle crucial ?

Robert Vautard : Avant tout, les défis et les objectifs du Giec vont être définis en commun avec les trois groupes de travail sous la présidence du Britannique Jim Skea. C’est une vision collective qui est à construire. La décennie qui vient est charnière pour le climat. Nous n’avons pas beaucoup de temps : nous avons aujourd’hui un réchauffement global de 1,1 à 1,2 °C, et les politiques mises en place mènent à un climat plus chaud d’environ 3 °C, alors que les pays se sont entendus sur 2 °C maximum dans les accords de Paris.

Nous sommes donc face à deux défis urgents. Le climat a déjà beaucoup changé, comme les risques. Des événements extrêmes se produisent un peu partout, et on ne les connaît pas tous très bien. Les vagues de chaleur ont augmenté, les sécheresses extrêmes sont plus fréquentes… Nous aurons donc à bien les évaluer pour nous y adapter de façon durable, sachant que ces événements risquent d’augmenter encore.

La deuxième chose, c’est de trouver des méthodes pour réduire de façon urgente les émissions de gaz à effet de serre. Ce cycle sera très particulier pour cela : pour y arriver, il sera utile de livrer des exemples, des solutions immédiatement applicables. Il faut donc être capable de donner des informations d’une aussi bonne qualité que dans les rapports précédents, tout en exploitant le vécu que nous avons déjà du changement climatique. Comment, par exemple, gérer les pénuries en eau ou les vagues de chaleur humide ? Il y a des solutions urgentes à trouver et nous n’avons pas encore de réponses à tout : ce sera à la réflexion collective du Giec d’y répondre.

Nous devons rester dans la rationalité sans porter un discours de panique.

Cela passe-t-il par un changement de méthode ?

Je pense qu’il faut que nous puissions livrer des exemples plus concrets de risques, avec des solutions et des moyens d’action. Des choses existent déjà, bien sûr, le dernier rapport du Haut Conseil pour le climat en France inclut des leviers d’action, mais nous devons apporter de nouvelles connaissances et nous pencher sur la question des nouveaux risques, des risques globaux, et sur les ruptures dans le système climatique.

Nous voulons aussi évoluer sur notre manière de travailler. Un tissu de décideurs de tous les niveaux, qu’ils soient publics ou privés, pourrait participer en amont au cadrage des rapports et à la définition des questions auxquelles nous répondrons. Pourquoi ne pas, en respectant les règles de neutralité du Giec, organiser une discussion non seulement entre scientifiques et représentants des gouvernements, comme c’est le cas actuellement, mais aussi avec des acteurs sectoriels pouvant être représentés par de grandes associations internationales ? Nous aurons besoin de connaître les priorités des secteurs de l’énergie, des assurances, de l’agriculture ou de la gestion de l’eau, par exemple, tout comme celles des autorités régionales, des gestionnaires des villes…

Nous aurons à mettre en place une organisation au niveau des régions du monde entier, avec les scientifiques mais aussi avec les autres parties prenantes. C’est un défi colossal de parvenir à un cadrage qui permettra de bien répondre aux questions.

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Comment mieux communiquer ?

C’est aussi un défi. Nous aurons à réfléchir à la manière de livrer nos informations, la longueur et l’aspect trop « scientifique » des rapports précédents ont été mentionnés. Quels sont les récits et les exemples sur lesquels nous allons nous appuyer pour permettre une action concrète et soutenable ?

Les participants au Giec ont tous la volonté d’être au service de l’action climatique urgente sans pour autant effrayer le monde entier. Nous devons rester dans la rationalité, dans les solutions applicables de façon rapide et raisonnable, sans porter un discours de panique.

Dire que l’on a franchi un seuil donne l’impression qu’il ne vaut plus la peine de se battre, alors que chaque dixième de degré compte.

J’aimerais éviter les discours anxiogènes pour montrer de façon plus pragmatique les solutions, sans déclencher tout le temps des polémiques et en proposant un effort qui soit soutenable.

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Est-il encore possible de tenir les objectifs des accords de Paris ?

Les accords de Paris ont défini l’objectif de limiter le réchauffement entre 1,5 et 2 °C, et c’est encore possible. + 1,5 °C, cela peut se révéler difficile, puisque le dernier rapport mentionne bien qu’ils devraient être dépassés dans une dizaine d’années environ, bien que ce ne soit pas encore certain. Les + 2 °C sont à notre portée, et les seuils inférieurs aussi. Je n’aime pas les seuils définitifs : dire que l’on en a franchi un donne l’impression que cela ne vaut plus la peine de se battre, alors que chaque dixième de degré compte.

Nous sommes certes sur une trajectoire où la réduction des émissions est insuffisante pour arriver aux objectifs des accords de Paris, mais, quoi qu’il arrive, tout ce qui va dans le sens de la réduction des émissions de gaz à effet de serre permet de mieux limiter le réchauffement et donc de mieux s’adapter.

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Avez-vous déjà défini des thèmes prioritaires ?

Le premier rapport qui sera livré portera sur les villes, puisque ce sont à la fois des lieux de concentration de risques et d’émissions de gaz à effet de serre. Le rapport donnera des informations sur les risques portant sur les villes, et sur leur adaptation, pour contribuer à la réduction des émissions grâce à une meilleure organisation, répondre aux défis d’approvisionnement, adapter les bâtiments et la consommation d’eau et d’énergie…

Ces défis vont se poser particulièrement aux villes du Sud, en pleine expansion, mais aussi aux villes en bord de mer, exposées à la montée du niveau marin, et aux grandes métropoles, où les îlots de chaleur s’ajoutent aux canicules.




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