Routes de la soie : à travers les Balkans

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DE SHANGHAI À PARIS. Après vingt ans en Chine, la journaliste Julie Desné rejoint l’Europe en transport public. Un périple qu’elle raconte chaque semaine.






Par Julie Desné à Ljubljana (Slovénie)


Monument aux soldats de l'armee sovietique a Sofia.
Monument aux soldats de l’armée soviétique à Sofia.
© Julie Desné / Le Point

Nous y voilà. En Union européenne. Un peu à la maison. Nous avons laissé le Bosphore et les rives asiatiques derrière nous pour découvrir l’Europe du Sud, comme un premier sas avant le retour au bercail. Totalement ignorants de cette région, nous découvrons les Balkans avec émerveillement. La richesse de ces villes, qui ont appartenu à des empires de renom, ont été mêlées à mille et une guerres et prises dans les soubresauts encore récents de l’Histoire, est indéniable.

Le doux chaos d’Asie mineure nous accompagne jusqu’aux portes de Sofia, avec un bus qui nous dépose, au lieu des 20 h 30 initialement prévues, à minuit et demi à la gare routière. Il semble que la première capitale après la frontière turque soit d’autant plus européenne qu’elle est aux marches du continent. Son patrimoine ne cesse de rappeler combien ce territoire s’est heurté à des puissances extérieures. Il y a ici la volonté de rappeler les âpres luttes menées, notamment contre l’empire ottoman, qui avait poussé sa puissance jusqu’ici, et les marques d’une histoire sous influence soviétique encore très présente.

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En quelque trente années, l’Europe de l’Ouest a rejoint le jeu des influences et le monument à l’armée soviétique, dans l’est du centre-ville, est peut-être le trait d’union le plus visible entre ces deux histoires européennes qui ont fini par se rencontrer. Une colonne s’élance dans le ciel avec à son sommet quelques combattants méritants, tandis que les bas-reliefs célèbrent les différentes figures de l’armée soviétique. Les graffitis se sont invités dans le décor pour donner une touche pop à cet ensemble austère. Un temps, les bombes de peinture avaient transformé les soldats de Staline en super-héros de Marvel. Les deux puissances ennemies de la guerre froide ainsi réunies temporairement dans le bronze. Aujourd’hui, deux traits symbolisent le soutien d’un pays de l’Est à un autre : une ligne bleue et en dessous une ligne jaune. Les tagueurs de Sofia soutiennent l’Ukraine avec un autre genre de bombe.

Nous poursuivons notre route vers la Serbie. Nous sortons provisoirement de l’Union européenne. Petit à petit, le puzzle prend forme. Les liens se font. Nous sommes à Belgrade, sous l’imposante coupole de la cathédrale Saint-Sava. Sa construction a commencé dans les années 1930 et s’est achevée il y a moins de 20 ans. C’est une des plus grandes églises orthodoxes du monde – 79 mètres de haut – et c’est sans étonnement que l’on apprend que le modèle de ce mastodonte de marbre a été Sainte-Sophie, à Istanbul. À lui seul, le Danube qui traverse la ville, où il est rejoint par la Sava, et se jette des centaines de kilomètres plus loin dans la mer Noire, nous ramène à cette Asie mineure que nous venons de quitter.

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L’Asie et l’Europe n’ont pas fini de dialoguer. En arrivant en Slovénie, nous continuons de reconstruire le fil de l’Histoire d’un continent qui est désormais le nôtre. Partie de l’empire austro-hongrois pendant plusieurs siècles, le petit territoire a ensuite été intégré à la Yougoslavie, avant d’être la première république de cet État éclaté à intégrer l’Union européenne. Plus concrètement, c’est aussi notre entrée dans la zone euro. Le genre de petit détail qui compte au quotidien. Fini la recherche de bureau de change ou de distributeur à peine le pied posé à la gare. On va reposer notre cerveau de conversions approximatives dans des monnaies dont on a à peine appris le nom qu’on repasse déjà une frontière.

Venise en vue

La logistique fait couler moins d’encre, mais n’en occupe pas moins une place prépondérante dans nos journées voyageuses. Après notre pause stambouliote, nous avons repris la route cette semaine presque sans nous en rendre compte. Le nomadisme est devenu notre routine. Défaire et refaire son sac. Prendre possession d’une chambre d’hôtel pour vingt-quatre heures, comme si c’était notre maison depuis toujours. Tenter sa chance au premier restaurant ou café du quartier et y retourner le lendemain pour se donner l’impression éphémère d’être des habitués.

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L’aspect logistique nous poursuit jusqu’aux dernières heures. Les réservations de billets de bus ou de train. Jongler avec les horaires, les arrivées, les disponibilités des hôtels. On épilogue moins sur ces sujets, mais faire tenir les trois tee-shirts embarqués jusqu’à bon port, continuer sa lessive quotidienne au savon de Marseille pour rester présentable. L’aventure tient aussi dans ces petits détails moins glorieux et terriblement quotidiens. Dans la réalité ou dans la fiction, les grandes figures d’aventurier n’en font pas grand cas. Les explorateurs du désert du Taklamakan de la fin du XIXe et du début XXe, à l’instar de Marc Aurel Stein, parlent de leur grande caravane, de leurs tentes et de leur plume gelée dans l’encrier. Beaucoup moins de leurs tâches persistantes sur leur paletot ou du goût insipide de leur dernier encas.

Alexandra David-Neel, sur sa difficile route à l’assaut du Tibet interdit, ne s’appesantit pas sur le contenu de son assiette, sauf pour en souligner le côté extraordinaire… par son faste quand elle est reçue par un maharadjah ou par son extrême dénuement quand elle en est réduite à faire bouillir des morceaux de cuir. Et inutile de préciser qu’à Hollywood on n’a jamais pensé faire laver son slip à Indiana Jones. Nous n’avons pas ces destins flamboyants, et il faut bien se résoudre à ces instants récurrents de petitesse bassement matérielle.

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Nous terminons la semaine plus proches que jamais, géographiquement et culturellement. Notre dernier bus du périple doit nous déposer à Venise. Nous retrouverons ensuite les joies du train. La ville-lagune est aussi l’étape européenne par excellence des routes de la soie, qui ont toutes convergé vers ce point commerçant et qui en ont fait la fortune. Les riches propriétaires des palazzi ont construit des empires financiers sur ces routes d’échange et ces luttes d’influence qui avaient cours jusqu’aux confins de l’Asie. Une étape qui nous ramène naturellement aux sources de ce côté-ci du globe.




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