Chirac et Kerchache, hommage à l’artiste inconnu

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Il ne ressemble à aucun de ses prédécesseurs, ni de ses successeurs. Aucun nom de la littérature, de la peinture, du théâtre n’est associé à son règne. Il a longtemps passé pour un butor, un ami des bouseux, un roi des coups tordus. Jacques Chirac laissait dire. Il partait loin, très loin, relié aux signes façonnés par l’homme depuis la nuit des temps. Dans ce monde énigmatique des arts premiers, pas de connivence bourgeoise autour de la création, pas de conversation convenue. Cette passion secrète pour des artistes à jamais anonymes, chers à Apollinaire, a fini par s’exposer au grand jour, favorisée par une rencontre.

Ile Maurice, 1992. Le maire de Paris, plongé dans un ouvrage sur la préhistoire, en maillot de bain au bord du lagon, ne veut pas être dérangé.

Un « touriste », persuadé qu’il a vu son livre, coécrit avec deux universitaires, Jean-Louis Paudrat et Lucien Stéphan, dans le monumental bureau de l’Hôtel de ville, insiste pour se présenter. La photo de Paris Match l’atteste : cette somme, L’Art africain, publiée en 1988 par Citadelles et Mazenod, est bien de lui, Jacques Kerchache ! « C’est vous ? ! » Chaque soir, ils dînent ensemble, devant une Bernadette résignée qui a déjà eu son content de digressions sur l’art dans la dynastie Ming. L’histoire durera bien au-delà de la mort de l’inlassable promoteur des arts premiers, en 2001, à 59 ans.

Qui est Kerchache ? Un aventurier qui a traversé la Guinée espagnole à pied et en pirogue, puis le Congo, à la recherche de chefs-d’œuvre de la statuaire fang, bakota, bakwele, punu ? Un grand expert ? Un collectionneur érudit ? Un original organisateur d’expositions ? Le marchand aussi roué que redouté, « capable de vendre très cher, comme Mademoiselle Chanel », que décrit l’expert en art africain Pierre Amrouche ? Sans doute, mais aussi l’inlassable militant d’un musée des arts premiers, dont le magazine Rolling Stone publie, en janvier 1990, le fameux manifeste « pour que les chefs-d’œuvre du monde entier naissent libres et égaux ».

Attiré par l’ailleurs

Des artistes, des poètes, des philosophes (Arman, Yves Bonnefoy, Michel Leiris…) signent cette pétition de Kerchache qui demande au Louvre de consacrer un espace à ce que l’on appelle encore l’« art primitif », les « arts ethnographiques » ou les « arts tribaux ». L’absence de terme reconnu pour ces « arts lointains » en dit long sur les débats qui agitent la communauté scientifique, le petit monde des conservateurs, celui des galeristes et, en creux, sur la frilosité du plus grand musée du monde. François Mitterrand et Jack Lang ne bougeront pas le petit doigt, même lorsque Libération, trois mois plus tard, publiera la pétition, enrichie d’une pléiade de noms prestigieux. En décembre 1969, Kerchache avait déjà écrit à Georges et Claude Pompidou, clients de sa galerie de la rue de Seine, pour les implorer d’adjoindre au futur Beaubourg « un musée d’art primitif dont Paris et la France ont le cruel besoin ». Il plaide avec autant de fougue que son célèbre devancier : Apollinaire, collectionneur, soutenait en 1909 que l’« art nègre » devait entrer au Louvre.

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