les souvenirs de Guy Cuevas, ancien DJ du « Palace » | EUROtoday

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« Le Palace n’est pas une boîte comme les autres, il rassemble dans un lieu unique des plaisirs ordinairement dispersés : la jouissance de la vue, l’excitation du moderne, l’exploration de sensations visuelles neuves, la joie de la danse, le charme des rencontres possibles. Tout cela réuni fait quelque selected de très ancien, que l’on appelle la fête, et qui est bien différent de la distraction. Tout un dispositif de sensations destiné à rendre les gens heureux, le temps d’une nuit. Le nouveau, c’est cette impression de synthèse, de totalité, de complexité : je suis dans un lieu qui se suffit à lui-même. » Le Palace, c’est Roland Barthes qui en parle le mieux, avec cet extrait de Vogue Hommes, en 1978.
Guy Cuevas, qui en fut le premier DJ (on disait alors « disquaire »), raconte également très bien ce lieu de fête de la rue du Faubourg-Montmartre, à la fois démocratique et sophistiqué, symbole de l’insouciance de la fin des années 1970, jusqu’à l’arrivée du sida et le virage de la rigueur des années Mitterrand, qui sonnèrent la fin de cette grande récréation. À l’event de la sortie de sa compilation en trois volumes*, déjà écoulée à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires, nous avons rencontré Guy Cuevas, d’origine cubaine, chez lui, à Paris, toujours aussi fringant à 78 ans.

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Le Point : Quarante ans après la disparition de Fabrice Emaer, son créateur et patron, Le Palace fascine toujours autant, en témoigne le succès de votre compilation. Comment l’expliquez-vous ? Car après tout, il ne s’agissait que d’une boîte de nuit…

Guy Cuevas : Pardon, mais je suis obligé de vous contredire un peu. Le Palace n’était pas seulement une boîte de nuit, c’était avant tout un théâtre, avec tout ce que ça comporte : des loges aux étages, une entrée des artistes, une vraie scène sur laquelle avaient chanté Mistinguett et Maurice Chevalier. Un vrai théâtre, j’insiste, automobile ce n’est pas du tout la même selected. On y dansait, mais on y donnait aussi des concert events fabuleux. Prince y a chanté pour la première fois en France, devant 300 personnes. Mais aussi Tina Turner, Tom Waits, Gainsbourg ou The B-52’s…

Comment l’aventure a-t-elle commencé ?

Michel Guy [secrétaire d’État à la Culture du gouvernement Chirac de 1974 à 1976, NDLR], qui était shopper du 7, le membership homosexual où je travaillais et dont Fabrice Emaer était le gérant, a tenu à nous faire visiter un lieu qu’il venait de classer monument historique. Il a dit à Fabrice : « Cet endroit est exceptionnel, il est fait pour toi. » Il est vrai que Le 7, où se pressaient le roi de Suède, Paloma Picasso, Andrée Putman, Jeanne Moreau, Pierre Cardin, mes amis Kenzo et Grace Jones, les plus beaux mannequins et les plus beaux mecs de la Terre, ne pouvait plus pousser ses murs pour recevoir cette clientèle chic. Nous sommes donc allés visiter Le Palace et avons découvert une cathédrale à l’abandon, infestée de rats, dans son jus mais magnifique. Fabrice est littéralement tombé sous le charme des lieux. Comme il avait la tchatche et un solide carnet d’adresses, il est parvenu à convaincre plusieurs de ses connaissances d’investir sept tens of millions de francs pour rénover le théâtre et y installer les décors, une sono, un laser, des effets spéciaux incroyables…

À LIRE AUSSI L’émotion de Charlotte dans la maison de Serge GainsbourgDes décors baroques et magnifiques, signés Gérard Garouste…

Excusez du peu ! Gérard Garouste était un peintre déjà talentueux mais totalement inconnu, si ce n’est d’un tout petit cercle. Dont Fabrice, qui avait le don de déceler le expertise des gens. 

Qui était Fabrice Emaer ?

Un personnage extraordinaire : 1,90 mètre, la mèche blonde, la model homosexual de Burt Lancaster dans Il Gattopardo [Le Guépard, NDLR] de Luchino Visconti. Ancien coiffeur à Béthune, c’était un acteur de théâtre qui accueillait ses shoppers d’un tonitruant « bonsoir mes bébés de rêve ! ». Yves Mourousi, qui était notre ami, l’a beaucoup imité. Fabrice était un homme très cultivé qui allait à l’opéra, fréquentait les expositions et lisait les journaux. À sa façon, un intellectuel qui, certes, aimait les belles et bonnes choses, mais dont l’argent n’était pas le moteur. Rien n’était trop beau pour ses fêtes, pour lesquelles il dépensait sans compter. Rien à voir avec ces limonadiers de la nuit dont la caisse est la seule obsession. Tout entier voué à sa création, il nous répétait sans cesse : « Il faut que nous élevions le débat », « on ne doit pas se moquer des gens ».

J’en reviens à ma query : pourquoi Le Palace suscite-t-il toujours autant de fascination, 45 ans après son ouverture, le 1er mars 1978 ?

J’y viens ! Le 7 tournait à plein régime, mais Fabrice voulait créer quelque selected de plus grand. À l’époque, on allait aussi chez Régine et Castel, des endroits magnifiques mais petits, au décor rouge et intimiste, très sélectifs. Fabrice voulait réinventer la fête de l’humanité, avec un « h » minuscule. Depuis toujours, il adorait le bal des pompiers, ces fêtes populaires et démocratiques dont il voulait s’inspirer. Michel Guy, donc, lui a dit : « J’ai un endroit à te montrer. » C’était Le Palace, qui allait revivre, et de quelle façon… Une folie.

Quel esprit avez-vous voulu insuffler au Palace ?

Tout y était surdimensionné, et le moins que l’on puisse dire est que Fabrice a vu grand. Un mur de néons de couleurs descendait de la scène ; le laser, qui n’existait nulle half ailleurs, créait un plafond bionique, une atmosphère de science-fiction façon Orange mécanique – je dois à ces redoutables rayons d’avoir aggravé mes problèmes de vue [Guy Cuevas est aujourd’hui aveugle, NLDR], même s’ils n’en sont pas la trigger. Bref, après sept mois de travaux, nous avons ouvert et l’écrin était devenu somptueux. Il fallait, pardonnez-moi cette grossièreté, une sacrée paire de c… pour se lancer dans pareille aventure.

Et le succès a été fulgurant…

Le Tout-Paris, que dis-je, le monde entier [il rit] était à l’inauguration, le 1er mars 1977. Mon amie Grace Jones a chanté à 3 heures du matin [Yves Saint Laurent, dans un geste devenu culte, montera sur scène pour ajuster sa tenue, NDLR]. Fabrice avait donné pour instruction de « champagniser » les invités. Les serveurs, pour lesquels on avait organisé un casting sauvage, étaient tous des Marlon Brando, des James Dean et des Paul Newman en puissance, horny en diable dans leurs uniformes à épaulettes dessinés par Thierry Mugler.

Je n’ai pas oublié votre query initiale : si Le Palace fascine toujours autant, c’est peut-être parce que la liberté y était totale. Vous m’entendez ? TO-TA-LE ! À l’époque, il n’y avait pas de chômage et le sida n’était pas encore là. Tout était permis. La créativité était sans limite, l’insouciance absolue.

On s’amusait, on était heureux, on payait des verres à ceux qui n’avaient pas d’argent.

Liberté totale, insouciance absolue, y compris sexuelle. On faisait beaucoup l’amour, au Palace…

Vous voulez dire qu’on b… dans tous les cash ! La drogue circulait aussi beaucoup. Filles sublimes, homos et travelos se mélangeaient, dans tous les sens du terme [il rit].

Liberté totale, donc…

TOTALE, en majuscule !

Votre compilation reflète ça : la joie, l’effervescence et l’exubérance… Parfois, cependant, votre musique laisse entendre quelques accès de mélancolie, comme avec Flash and the Pan (« Walking within the Rain »), qui arrive après l’extravagant Klaus Nomi et le turbulent Tom Tom Club. Ce qui nous fait dire que cet âge d’or du Palace, de 1978 à 1983, est un peu la métaphore d’une époque extravagante mais crépusculaire, avant l’arrivée du sida et le « virage de la rigueur » mitterrandien. On despatched que la fête ne va pas durer…

Vous intellectualisez beaucoup les choses, mais nous, on ne se posait pas toutes ces questions. On s’amusait, on était heureux, on payait des verres à ceux qui n’avaient pas d’argent. L’éclectisme de ma musique, qui pouvait mêler les tubes de Diana Ross, de vieux airs afro-cubains, de mambo ou de musique balinaise, « La Chevauchée des Walkyries » et des sons improbables (une porte qui claque comme chez Marivaux, des extraits d’un discours de Fidel Castro ou du Mépris de Godard), reflétait l’éclectisme de la clientèle : bigarrée, décoiffante et barrée. Gay, bi, hétéro, trans, blanc, bleu, noir, riche ou désargenté : on assumait le mélange des genres. L’entrée coûtait 50 francs et on avait droit à une consommation, ce qui n’était pas cher. Comme je vous le disais, c’était la fête de l’humanité. C’est ce mélange, cette ouverture, cette liberté, cette fête démocratique qui, pour aller dans votre sens, fascine sans doute encore aujourd’hui…

Le Palace n’était pas si démocratique que ça. Démocratie à l’intérieur, peut-être, mais à la porte, c’était plutôt la dictature. N’entrait pas qui voulait : Edwige, Jenny, Paquita, les physionomistes – que des femmes – triaient la clientèle sans pitié.

C’est vrai. Quand un groupe arrivait, Edwige Belmore, une punk lesbienne qui travaillait pieds nus et dont nous étions tous amoureux, pouvait dire : « Toi, tu rentres, mais pas ta copine » ou « Reviens demain chérie, ce soir, c’est pas ton jour. » Ça pouvait sembler merciless, ce n’était pas juste, mais c’était comme ça. Au moins, l’argent n’était pas un critère, une célébrité pouvait aussi se faire refouler si elle n’était pas habillée convenablement. Pour entrer au Palace, il ne fallait pas être riche, il fallait être beau. On voulait, en tout cas, que les gens sourient, fassent un effort pour paraître élégant, quitte à se tailler une tenue dans un rideau, pourvu que ce soit fait avec goût [il rit]. Vous pouviez être éboueur, on s’en foutait. Avoir un look et de la personnalité, tels étaient les critères. À la porte, on ne vous demandait ni CV, ni passeport, ni carte bancaire. 

Les années Palace étaient des années d’insouciance. Elles ne reviendront pas, on le sait et c’est ce qui nous fascine.

La dictature de la beauté et de la branchitude, tout de même…

Voilà, vous refaites de la sociologie ! On sélectionnait juste les gens avec qui on avait envie de faire la fête, c’est tout. Aujourd’hui, il n’y a plus que le fric qui compte. Sans compter les guerres, le terrorisme, les difficultés économiques… Les années Palace étaient des années d’insouciance. Elles ne reviendront pas, on le sait, et c’est ce qui nous fascine.

Fabrice Emaer était de gauche…

Non, Fabrice était de la fête, de la nuit, il voulait être entouré de jolis garçons, il aimait la beauté et la qualité. Il se foutait du bord politique. Il était l’ami de Michel Guy, qui était de droite. Puis Pierre Bergé est arrivé avec Yves Saint Laurent. Yves descendait danser avec Loulou de La Falaise, parfois délabré. Il y avait Karl Lagarfeld à sa desk – qui ne dansait jamais –, tout le monde était là. Pierre Bergé restait en haut et ne descendait que pour venir nous critiquer.

Il n’empêche que Fabrice Emaer appela un soir de 81 à voter François Mitterrand. 

Je ne sais pas ce qui lui est passé par la tête, qui a bien pu lui laver le cerveau, mais effectivement, un soir, il est monté sur scène, il a chanté « La Vie en rose », model Grace Jones, puis il s’est mis à crier : « Votez Mitterand, votez Mitterrand ! », ce qu’il n’aurait jamais fait au début du Palace. On était surpris, automobile ça allait à l’encontre de ce qu’il prônait. En même temps, c’était couillu de sa half. Toute une partie des gens qui avaient la carte du Privilège (un membership privé créé en 1980 au sous-sol du Palace) l’ont alors rendue. 

Revenons-en à votre métier. À l’époque, on ne disait pas DJ, ni même disque-jockey, mais disquaire…

Oui, ou passeur de disques.

Vous étiez donc un passeur. Votre compilation start par la voix d’un cardinal qui annonce : « Habemus papam ! »

C’est du 35e degré. Un clin d’œil à ceux qui, à l’époque, et aujourd’hui encore, m’ont proclamé « pape du disco ». Ce qui n’est pas tout à fait vrai, automobile ce n’est pas mon style préféré, même si la musique des Bee Gees était tout de même sublimissime.

Vous ne vous interdisiez rien ?

Rien ! Quand vous faites l’amour avec quelqu’un, vous essayez des trucs, des positions, vous regardez si ça marche ou pas. Je faisais pareil avec les 2 000 figurants de théâtre qui dansaient en dessous de moi. Un jour, avec Fabrice, on s’est demandé remark évoquer le type des disparus français d’Argentine [victimes de la dictature militaire, NDLR]. On a projeté leurs photographs sur écran géant, et pour symboliser le brouillard de leur scenario, on a envoyé les fumigènes. J’ai passé « African Reggae » de Nina Hagen, qui est dans la compilation. Les gens m’ont ovationné, j’étais en larmes dans ma cabine. 

Êtes-vous nostalgique de cette époque ? Cédez-vous au « c’était-mieux-avantisme » ?

Je ne suis pas passéiste, mais je regrette ces moments de créativité absolue. Ce bouillonnement, cette liberté me manquent. 

Impossible de refaire Le Palace. Que feriez-vous aujourd’hui, si vous aviez 20 ans ? 

Je ne referais pas la même selected automobile ce n’est plus du tout la même époque. J’imaginerais un lieu totalement différent, sachant que les gens n’ont plus d’argent et rament dur. Pourquoi pas un salon, un endroit où les gens pourraient lire, manger un morceau pour pas cher, écouter de la bonne musique. Un lieu beaucoup plus petit que Le Palace, en évitant le velours rouge !

Quels conseils donneriez-vous à ceux qui ont 20 ans ?

Je les encouragerais à se creuser la tête et à prendre des risques. À se nourrir de tout, à écouter Rachmaninov, Christine and the Queens et Barbara, à lire des livres et à aller au théâtre. Je miserais aussi sur l’intelligence artificielle, même si ça fait un peu peur, comme tout ce qui est nouveau.

* Compilation « Palace, Club Paris, chosen by Guy Cuevas » (2023, Panthéon /Universal).


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