« Le discours de Macron est aux antipodes de ce que fait son administration » | EUROtoday

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Occupée par l’actualité du remaniement décidé par Emmanuel Macron à la veille d’une campagne des européennes qui s’annonce périlleuse, la classe politique française aura peu commenté les manifestations qui paralysent l’Allemagne depuis bientôt une semaine. Pour protester contre la disparition d’un avantage fiscal décidée par Berlin, les agriculteurs bloquent les centres-villes de nombreuses municipalités avec leurs tracteurs, dans un mouvement impressionnant qui a rapidement fait tache d’huile, et inquiète tous les gouvernements d’Europe. Des vagues de colère similaires ont traversé les Pays-Bas, la Roumanie… et la France, où la grogne, bien que contenue, dure depuis des mois.

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L’échéance électorale à venir sera cruciale, prévient le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau. Pour l’avenir du secteur agricole, d’abord : 30 % du price range de l’Union européenne est consacré à la Politique agricole commune (PAC.) Mais aussi pour le quotidien des Français, dans ce qu’il a de plus essentiel et intime : les prix des denrées alimentaires dépendent largement des politiques conduites à Bruxelles. La déclinaison agricole du Pacte vert européen, cette fameuse stratégie « de la ferme à la fourchette », qui menace concrètement la souveraineté alimentaire, affole tous les acteurs, écrasés de normes et d’injonctions « vertes » mettant en péril les productions futures, déjà impactées par les bouleversements climatiques. « Les politiques ont le devoir de s’intéresser à ces sujets », plaide Arnaud Rousseau, pour qui « 2024 sera une année charnière ». Entretien.

Le Point : Après la Roumanie et les Pays-Bas, les agriculteurs manifestent en Allemagne. En France, le mouvement des panneaux de municipalité retournés traduit le même ras-le-bol. Est-ce que cela vous inquiète ?

Arnaud Rousseau : Les mêmes fondamentaux sont à l’œuvre partout en Europe. Le fait générateur est la imaginative and prescient portée par le Green Deal d’une agriculture décroissante, que le monde agricole n’arrive pas à comprendre. La stratégie « Farm to Fork » [de la ferme à la fourchette, NDLR] prévoit une réduction de la manufacturing européenne de l’ordre de 15 %, confirmée par toutes les études d’impression, qu’elles émanent d’instituts indépendants ou de la Commission européenne elle-même ! Et, dans le même temps, les importations de denrées alimentaires ne cessent d’augmenter.

D’un côté, on contraint nos agriculteurs à produire moins, et de l’autre on importe plus de denrées alimentaires, produites dans des circumstances qu’on interdit sur notre sol.

Cette année, l’Europe, dans son entièreté, a importé plus de denrées alimentaires brutes ou transformées qu’elle ne le faisait hier. C’est une réalité. D’un côté, on contraint nos agriculteurs à produire moins et, de l’autre, on importe plus de denrées alimentaires, produites dans des circumstances qu’on interdit sur notre sol. Cela heurte le bon sens des producteurs, qui vivent cette contradiction – et les politiques mises en œuvre – comme une réelle violence.

Aux Pays-Bas, pour réduire les émissions d’azote de l’élevage, le gouvernement a voulu forcer la réduction des cheptels de 50 %, en une poignée d’années ! La brutalité de la décision a embrasé les campagnes. Plus à l’est, en Pologne et en Roumanie, les importations massives de denrées ukrainiennes concurrencent la manufacturing de ceux auxquels on impose, par ailleurs, de changer du jour au lendemain leurs requirements environnementaux. L’Europe importe en masse des volailles ukrainiennes, élevées dans des fermes qui comptent 2 tens of millions de poulets, quand en France, les éleveurs de plus de 21 500 poules devront se soumettre en 2030 aux contraintes d’une directive sur les émissions industrielles. On marche sur la tête ! La technocratie bruxelloise est totalement déconnectée du réel.

Ces critiques du Green Deal et de ses conséquences ne sont pas nouvelles… Pourtant vous peinez à être entendus.

Aujourd’hui, les grands leaders politiques n’ont plus aucune appétence pour les sujets agricoles et agroalimentaires. Je le vis au quotidien… Quelques jours avant le remaniement, on m’a demandé avec insistance les noms de personnalités susceptibles d’être intéressées par le ministère de l’Agriculture. Parce que ce ministère n’intéresse personne ! Nous allons voter au mois de juin, en France, pour élire 81 députés européens. Le price range de l’agriculture représente 30 % du price range de l’Union : c’est le plus gros morceau, il devrait attirer l’intérêt. Pas du tout !

Moins d’une dizaine d’eurodéputés français ont une connaissance minimale des questions agricoles. C’est horrible.

Aujourd’hui, quelle que soit l’obédience politique, moins d’une dizaine d’eurodéputés français ont une connaissance minimale des questions agricoles. C’est horrible, automobile ces sujets demandent de vraies compétences. Ils touchent au cadre européen et nationwide, relèvent de négociations internationales, ils sont liés à la santé, à l’économie, à l’environnement, au climat… Cette complexité agit comme un repoussoir. Et sur le terrain, les acteurs se retrouvent seuls… Les préfets écrivent des notes toutes les semaines pour alerter les politiques des difficultés qui sont en prepare de monter, et personne ne leur répond.

Ce qui se passe en Allemagne est très éclairant. Le gouvernement a voulu résoudre son problème de déficit budgétaire en supprimant un avantage fiscal sur le diesel, faisant bondir d’un coup les expenses de manufacturing à l’hectare. Nous avons failli connaître le même type en France, mais le gouvernement a accepté de négocier et de définir une trajectoire de réduction de notre avantage fiscal. J’en paie le prix politiquement, automobile nos expenses de manufacturing augmenteront. Mais la décarbonation nous concerne tous.

En 2017, Emmanuel Macron promettait de « relever le défi de la souveraineté alimentaire » du pays. Six ans plus tard, les productions s’effondrent et la France n’a jamais été aussi dépendante de l’extérieur pour son alimentation. Qu’est-ce qui ne marche pas ?

Le malaise vient du décalage entre ce que dit le président de la République et ce qu’on observe dans la chaîne administrative. Je l’ai dit à Emmanuel Macron quand je l’ai rencontré en septembre : son discours est aux antipodes de ce que fait concrètement son administration ! Cela décrédibilise totalement la parole publique et pousse les agriculteurs vers les extrêmes. Prenez l’exemple de l’eau ! Il y a plus de deux ans, le président a mis sur pied, avec le gouvernement, un Varenne de l’eau et du changement climatique, qui devait mettre en œuvre les possibilités de stocker de l’eau. Combien de mètres cubes supplémentaires sont stockés depuis ? Quasiment aucun !

Qu’espérez-vous des élections européennes ?

Nous devons pouvoir rediscuter non pas des mesures du Green Deal (dont la plupart resteront), mais de sa philosophie. Les tendencies concernant le changement climatique et la biodiversité sont nécessaires et demeureront, quelles que soient les futures majorités. Mais nous devons réaffirmer notre attachement à notre souveraineté alimentaire. Aujourd’hui, les politiques agissent comme si les pertes de manufacturing n’étaient pas importantes – que nous pouvions nous acheter un espace de vie décarboné, tout en faisant produire ailleurs, à vil prix, les productions moins-disantes et bon marché qu’il suffira d’importer. Ce n’est pas tenable.

Nous devons admettre que la transition écologique a un coût […]. Il faut que le consommateur accepte de payer la demande sociétale qui est la sienne.

La query de la décarbonation ne peut pas être seulement européenne. Nous devons aussi admettre que la transition écologique a un coût. Et la query est easy : qui va la payer ? On ne peut pas, dans le même temps, conduire des discussions sur le prix des denrées alimentaires, avec un gouvernement qui nous enjoint de maintenir des prix bas et imposer des contraintes environnementales de plus en plus coûteuses. Il faut que le consommateur, au remaining, accepte de payer la demande sociétale qui est la sienne.

Nos politiques publiques sont incohérentes, selon vous ?

Elles le sont à tous les maillons de la chaîne. Nos importations de viande porcine, par exemple, ne cessent d’augmenter. Mais toutes les demandes pour ouvrir des exploitations en France traînent pendant des années. Les autorisations administratives sont bloquées, automobile personne n’assume le fait que l’ONG du coin viendra manifester. Tout le monde se planque. Et tout le monde fait la courte échelle aux importations…

Les chiffres sont incontestables : tous les jours, nous devenons plus dépendants de l’extérieur en fruits, en légumes, en porc, en viande. Même en lait, nous ne serons plus autosuffisants d’ici à 2027. Les vins et spiritueux perdent des elements de marché. Si vous ajoutez à ces tendances le facteur climat, l’équation conduit à un cocktail détonnant. Car, en parallèle, nos politiques publiques nous préparent toujours à une alimentation qui sera, structurellement, de plus en plus chère !

Les objectifs en bio sont déconnectés des réalités du marché, et croire que le problème se réglera à coups d’argent public est de la pensée magique.

Aujourd’hui, l’agriculture biologique est en plein marasme – les gens ne peuvent plus payer, et nous devons absolument soutenir les agriculteurs bio qui ne s’en sortent pas. 10 % de nos surfaces agricoles sont en bio. Or la planification écologique prévoit toujours que, en 2030, nous aurons atteint 25 % ! Mais de qui se moque-t-on ? Ces objectifs sont déconnectés des réalités du marché, et croire que le problème se réglera à coups d’argent public est de la pensée magique. La réalité, c’est que les gens achètent de l’entrée de gamme et des produits importés. Tous les warnings que nous avons allumés depuis cinq ans se sont avérés justes… Un fossé s’est creusé entre les gens qui produisent la loi et la réalité. Cela, les agriculteurs ne le supportent plus.

L’adaptation au changement climatique est un autre défi. N’avez-vous pas pris trop de retard ?

L’agriculture française est reconnue comme étant une des plus durables au monde, et il n’existe pas d’agriculteur qui soit climatosceptique. Nous avons tous observé l’avancée des dates de moisson, de fenaison ou de vendanges. Nos retards d’adaptation sont importants, pour une raison easy : faire évoluer nos modèles nécessite d’investir et, pour cela, nous avons besoin de capacités d’investissement. L’assolement en maïs a été le plus faible l’an dernier depuis vingt-cinq ans. De nouvelles cultures progressent, comme le tournesol.

Mais la plus grande urgence sera de stocker l’eau, pour garantir sur la durée nos approvisionnements. Quel que soit le modèle d’agriculture, petit, gros, biologique, agroécologique… tous ont besoin d’eau, et aucun territoire ne sera épargné par la raréfaction de la ressource, ou par la modification du calendrier des averses. Est-ce qu’on doit la réutiliser, la stocker, la désaliniser ? Toutes les options sont ouvertes. C’est maintenant, alors que nous avons encore quelques marges de manœuvre, que nous devons traiter ce sujet, sans nous laisser intimider par ceux qui mènent un fight contre l’acte de manufacturing.

Ceux qui conduisent la mobilisation contre les « mégabassines » de Sainte-Soline rêvent d’une agriculture décroissante, où l’on gratte la terre avec les doigts. La Confédération paysanne écrit dans son programme qu’il faut remettre un million d’agriculteurs dans les champs. Un million ! Certes, Mao l’a fait, avec son Grand Bond en avant. Le fait de ne pas y croire ne fait pas de moi un affreux techniciste. Je crois qu’il existe d’autres options.

Comme les nouvelles methods de sélection des plantes, ces fameuses NBT (« new breeding methods »), que leurs opposants qualifient de « nouveaux OGM ») et que la Commission européenne envisage d’autoriser ?

Nous avons besoin, pour remplir les objectifs que nous demande la société, d’innovation et de recherche. Cela passe notamment par la génétique. Pouvoir demain sélectionner de manière plus rapide des plantes qui répondent aux défis de consommer moins d’eau, de repousser certains insectes ou de résister à des maladies fongiques, serait une réelle avancée. La sélection massale, grandeur nature, prend des années.

Nous avons aujourd’hui des applied sciences, développées notamment grâce à un Prix Nobel français, Emmanuelle Charpentier, qui permettent d’aller beaucoup plus vite, avec des ciseaux moléculaires et de la génomique. Une imaginative and prescient de la société décroissante, là encore, s’y oppose. Il est d’ailleurs surprenant que cette frilosité s’exprime à propos de ces methods, mais pas de la viande ou du poisson cellulaires, qui se développent de plus en plus. Tant que nous subirons ces oppositions idéologiques, il sera difficile d’avancer… Et, donc, de réduire drastiquement notre consommation de pesticides.

Je m’inscris en fake avec l’idée que le monde agricole ne voudrait pas évoluer. Mais il faut des alternate options.

N’y a-t-il pas, sur ce file, des réticences du monde agricole ?

Je m’inscris en fake avec l’idée que le monde agricole ne voudrait pas évoluer. Mais il faut des alternate options. Personne n’obligerait les Français à se passer demain de médicaments, d’anxiolytiques et d’antidépresseurs, alors qu’ils sont parmi les plus gros consommateurs au monde… Les agriculteurs, eux, ont considérablement réduit leur utilization de produits phytosanitaires. On peut faire davantage, mais pas sans options. Et cette recherche doit mobiliser les meilleurs chercheurs, de l’Inrae, du secteur public et privé. Quand je demande à mes adhérents : qu’a changé l’Inrae dans votre ferme depuis dix ans ? Ils ne savent pas me répondre… Pourtant l’Inrae est notre bras armé. Ce sont 14 000 chercheurs et personnel, près d’un milliard d’euros de financement annuel. Nous devrons bientôt nous passer de 75 nouvelles molécules… Par quoi les remplacer ? Il faut accélérer !

Plus de la moitié des agriculteurs partiront à la retraite d’ici à 2030. C’est quasiment demain… Seront-ils remplacés ?

Ce mur se dresse devant nous, et nous devons montrer que notre métier revêt du sens, tout en permettant de gagner sa vie. Car l’un ne va pas sans l’autre. Personne n’acceptera un métier purement sacrificiel. Le secteur agricole est devenu un secteur d’ajustement, aujourd’hui, comme le furent le textile ou la sidérurgie… Qui peut s’y résoudre, alors que nous connaissons l’challenge ? Si on ne réagit pas très vite, nous en paierons tous le prix collectif.


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