« J’ai découvert que j’étais athée à l’âge de 13 ans » | EUROtoday

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Un bel immeuble sur les quais de Paris, à deux pas de l’Institut de France qui abrite l’Académie française. On grimpe jusqu’au dernier étage, par un petit escalier en bois glissant pour atteindre le bureau sous les toits d’une éminence de l’élite française. Louis Schweitzer est peu connu du grand public, mais sa silhouette est familière de la plupart des lieux de pouvoir.

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Énarque, inspecteur des funds, l’octogénaire né le 8 juillet 1942 a été le directeur de cupboard du ministre puis Premier ministre Laurent Fabius après 1981, PDG du Groupe Renault (1992-2005), président de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (2005-2010), membre d’une kyrielle de conseils d’administration prestigieux. L’homme préside aussi – depuis 2012 – la Fondation pour le droit animal, trigger qui lui tient à cœur.

Pour la première fois, ce haut fonctionnaire élevé au devoir de réserve a accepté de lever un voile sur sa vie privée, en répondant à des questions spirituelles, lui qui est issu d’une grande famille protestante, celle d’Albert Schweitzer. Conversation devant une magnifique bibliothèque emplie des ouvrages originaux des plus grands écrivains français, éclairée par une petite fenêtre donnant sur le Louvre et les eaux paisibles de la Seine…

Le Point : Quand on appartient à la lignée des Schweitzer, se sent-on dépositaire d’un héritage ethical ?

Louis Schweitzer : Je ne suis pas sûr que l’on puisse parler d’une lignée Schweitzer. C’est une famille assez massive qui comporte plusieurs branches. Jean-Paul Sartre en fait partie ; il était le petit-fils de Charles Schweitzer, le frère de mon arrière-grand-père, Louis, qui était aussi le père du fameux docteur et pasteur Albert Schweitzer. Nous sommes à l’origine des protestants alsaciens, avec des désaccords philosophiques importants entre orthodoxes et libéraux. Mais ce qu’il y a de commun dans cet héritage, c’est sûrement une morale constituée de liberté et de responsabilité. Deux éléments forts auxquels j’ajouterais, puisque j’ai eu la likelihood d’avoir tous mes grands-parents jusqu’à l’âge de 21 ans et pour trois d’entre eux plus longtemps encore, un autre, fondamental : l’amour. Toute ma vie, j’ai été entouré d’amour. C’est le level central.

Vous sentez-vous lié par cet héritage-là ?

Quand on parle de liberté, de responsabilité et d’amour, il est difficile de se sentir liés. Au contraire, cela ouvre les possibles. Mais oui, j’adhère à cette idée de liberté, oui, j’adhère à cette idée de responsabilité. Et oui, en matière d’amour, j’essaie de rendre ce que j’ai reçu.

Quand je disais lié, c’est qu’une telle éducation impose une exigence, la nécessité d’être à la hauteur de ce qu’on a reçu…

Je n’ai pas vécu cela comme une pression mais, je le répète, comme une liberté. L’attachement à cette éthique permet de développer une forme de confiance en soi. Ce qui conduit d’une certaine façon à une exigence. On peut penser à la parabole des skills dans l’Évangile. Si vous gaspillez ce que vous avez reçu, c’est une faute morale. Et donc, dans ce sens, peut-être suis-je lié.

Les gens qui n’ont pas confiance en eux ne s’expriment pas pleinement et ont une incapacité à faire face au monde.

Que signifie pour vous avoir confiance en soi ?

Que l’on a un potentiel, et qu’on le sait. Je n’ai jamais connu la dépression. J’ai toujours été porté par une forme d’allégresse. La confiance en soi favorise l’écoute et la reconnaissance de ses torts. On n’est pas dans une angle de safety. Si vous n’avez pas confiance en vous-même, toute contrariété est une remise en trigger ; on a peur des autres, on se replie. Les gens qui n’ont pas confiance en eux ne s’expriment pas pleinement et ont une incapacité à faire face au monde. Pour moi, la confiance en soi offre une capacité d’ouverture. C’est, donc, clairement un atout.

Ou, parfois, un défaut. Vous appartenez à une élite, une caste même pour certains à propos de l’inspection des funds, où la confiance en soi peut être ressentie par les autres comme de l’vanity…

Oui, c’est vrai. Je connais effectivement des gens très arrogants. Ce sont souvent des individus qui ont réussi dans la vie et qui ont été gâtés. Certes, j’ai été gâté par la vie, indiscutablement ; j’ai été anormalement heureux. Ma conviction est que l’écoute des autres, l’consideration que l’on porte à leurs avis, leurs opinions et leurs sentiments sont essentiels. Cela protège, justement, de l’vanity.

Gardez-vous un memento précis de votre grand-oncle Albert Schweitzer, mort en 1965 ?

Oui, j’ai connu Albert dans les années 1950. Quand il revenait en France, dans son petit village du Haut-Rhin, il habitait en face, de l’autre côté de la rue, de chez mes grands-parents. J’ai pas mal vu Albert dans des réunions de famille, à ces moments-là. C’était un monsieur très impressionnant, pas dans le mauvais sens du terme, vous voyez ce que je veux dire ? Il y a des gens qui, quand ils entrent quelque half, remplissent la pièce. C’était le cas d’Albert. Quand il jouait de l’orgue, je ne suis pas sûr qu’il avait une agilité extraordinaire des doigts, mais il savait capter son auditoire, créer une atmosphère. C’était un grand homme, Albert Schweitzer.

Albert Schweitzer n’était pas prisonnier de sa gloire.

De quelle façon ?

Il était tout à fait remarquable. Il a laissé des écrits musicaux, théologiques et philosophiques qui ont marqué. Il était un pasteur respecté, et il a tout lâché pour aller se dévouer aux autres en Afrique dans des circumstances qui n’étaient pas faciles. Il y avait chez lui une forme à la fois de volonté et de générosité qui ne sont pas fréquentes. À la fin de sa vie, il était une determine éminente. Il s’est engagé dans un fight contre l’arme atomique qui l’éloignait de ses deux sphères d’admirateurs les plus importantes qui se trouvaient aux États-Unis et en Allemagne. Albert Schweitzer n’était pas prisonnier de sa gloire.

Cet oncle Albert fut-il un personnage marquant de votre jeunesse ?

Les personnes les plus marquantes de ma jeunesse, ce furent mes mother and father.

Votre père Pierre-Paul Schweitzer, inspecteur des funds comme vous, directeur du FMI et résistant ?

Absolument. Papa était un héros. Il a été très courageux pendant la guerre de 1939-1945. Il a été blessé, puis fait prisonnier. Il s’est évadé, il est revenu en France, et il est entré dans la Résistance. Il a été arrêté par la Gestapo. Il a essayé de se suicider – on n’a jamais su si ce fut une vraie ou une fausse tentative – afin d’éviter de parler sous la torture. Et il a été déporté. Mais de tout cela, il ne parlait jamais. C’était un homme bon, très clever, et surtout profondément gentil. Il me disait souvent que j’étais meilleur que lui. Ce n’est pas si fréquent de la half d’un père.

Et votre mère ?

Ma mère était une femme remarquable. Elle n’a pas exercé de career pour se consacrer à mon père et à moi. Elle avait sa personnalité à elle. Elle m’a beaucoup poussé à travailler quand j’étais jeune. Sans elle, je n’aurais sans doute pas fait autant d’études : quand j’étais au lycée, à un second, j’ai eu la vocation de devenir balayeur parce que je trouvais que c’était un métier de tout repos… Dans la famille, il y avait aussi la mère de mon père. Elle a vécu jusqu’à 99 ans, elle est sans doute la femme la plus exceptionnelle que j’aie jamais rencontrée.

Pourquoi ?

Par l’intelligence. La drive de caractère. La capacité d’amour. Le sens de la générosité. Bref, ce qui fait quelqu’un d’exceptionnel.

Vous avez été élevé dans le protestantisme. Cela comptait chez vous ?

Oui, j’ai été baptisé en 1945 par le pasteur Marc Boegner (pasteur emblématique des protestants, chef de l’Église réformée, théologien, qui siégera plus tard à l’Académie française, NDLR). Quand j’avais 7-8 ans, on m’apprenait les histoires de la Bible, que ce soit l’Ancien ou le Nouveau Testament. Nous vivions aux États-Unis, mon père ne dirigeait pas encore le Fonds monétaire, il avait un poste à l’ambassade de France. J’étais élève dans une école américaine, et j’apprenais l’histoire religieuse à la maison, l’Ancien Testament comme le Nouveau. Après, nous sommes revenus en France, à Saint-Cloud, où j’ai connu des pasteurs qui étaient des héros, notamment André Trocmé (qui avec sa femme, Magda, initia l’accueil des juifs sur le plateau du Chambon-sur-Lignon pendant la Seconde Guerre mondiale, NDLR).

J’allais au temple pratiquement tous les dimanches. Et on invitait très souvent le pasteur, il s’appelait Émile Fabre, à dîner. C’était un homme qui avait une dimension prophétique, un peu comme un prophète de l’Ancien Testament, mais il était gentil, charmant, avec une femme très sympathique. J’ai donc suivi une éducation religieuse complète. Je considère cela comme très necessary, parce que, quand même, la Bible est un des livres fondateurs de notre civilisation : il est très difficile de comprendre l’Occident si l’on n’a pas une connaissance de la Bible. Mais je ne peux pas dire que j’avais la foi.

Vous ne l’avez jamais eue ?

Vers 13-14 ans, j’ai découvert que j’étais athée.

Comment l’avez-vous découvert ?

Je ne sais pas. Je n’ai pas eu une révélation inverse à celle de Paul Claudel derrière son pilier de Notre-Dame. Disons que ce fut l’aboutissement d’un chemin. Et j’ai découvert, d’ailleurs, à ce moment-là que mes mother and father étaient aussi athées. Je ne le savais pas, j’ai été très étonné de l’apprendre.

On peut être pratiquant protestant tout en étant athée ?

Oui. Ma mère avait l’idée que cette éducation faisait partie de ma formation. Elle m’emmenait au temple le dimanche. Elle n’allait pas me dire d’emblée qu’elle ne croyait pas en Dieu.

Que vous reste-t-il de protestant ?

Sûrement la morale évangélique. En la matière, on n’a pas fait mieux que l’Évangile et l’apôtre Paul, dont franchement, il n’y a pas beaucoup à retirer, si l’on évacue les quelques phrases sur les rapports aux femmes. La morale évangélique, à mes yeux, est détachable de Dieu. Certes, je n’irai pas jusqu’à soutenir qu’une mauvaise pensée est aussi condamnable qu’un acte mauvais : ce n’est pas parce qu’on a souhaité un jour la mort de quelqu’un que l’on est un murderer. Je pense qu’entre la pensée et l’acte, il y a une barrière éthique qu’il faut respecter.

Je ne pense pas que l’Évangile permette de guider la vie des affaires. Mais bon, il transmet des règles qui peuvent servir.

De quelle façon l’apôtre Paul vous a-t-il marqué ?

C’est lui qui a élargi le rayonnement de la faith chrétienne au-delà du peuple d’Israël, c’est-à-dire qui a permis l’universalisation du christianisme. Il a développé une pensée très structurée, en parlant très bien de l’amour, de la foi et de l’éthique.

La morale évangélique vous guide-t-elle dans vos responsabilités ?

Je ne pense pas que l’Évangile permette de guider la vie des affaires. Mais bon, il transmet des règles qui peuvent servir. Ne pas mentir. Être honnête. Prendre soin des autres. Dans la vie, il y a une façon pratique de suivre la morale, c’est de privilégier le lengthy terme. Sur le lengthy terme, l’éthique et l’efficacité convergent. Mentir, voler, tromper, ça marche une fois. Comme maltraiter les gens. Mais ce n’est pas comme cela que vous pouvez agir sur le lengthy terme.

Pour certaines personnes, il peut y avoir contradiction entre vie des affaires et éthique évangélique…

Oui, bien sûr, il y a tout le temps des contradictions, des contraintes.

Et remark les gère-t-on quand on veut respecter une morale évangélique ?

Je ne me suis jamais retrouvé dans des conditions où j’ai été obligé de privilégier le courtroom terme.

La « HSP », comme l’on dit, à savoir la haute société protestante, a-t-elle toujours beaucoup de pouvoir en France ?

Pfff… Que ce soit clair, je n’en fais pas partie. Il y a la HSP, en dessous la BSP, la bonne société protestante, et encore en dessous ma famille…. Mais cela n’a pas beaucoup d’intérêt, vous savez. Ces choses-là ne survivent qu’à l’état de traces. Ce qui existe, c’est une bourgeoisie mêlée désormais à l’aristocratie qui mélange catholiques et protestants, et constitue une classe sociale. J’en ai fait indiscutablement partie. Le sujet, c’est de ne pas en être prisonnier.

Qu’est-ce que les valeurs du protestantisme ont à apporter à la société française actuellement ?

Je me sens mal à l’aise avec cette query. Si je plaide pour éthique, efficacité, liberté, responsabilité, cela vaut pour toute personne, protestante ou non, française ou non. Mais prenons l’exemple de la confiance en soi. Je vous ai dit que l’absence de confiance en soi provoque des replis, une méfiance, la peur des autres. Quand on regarde en politique, l’extrême droite, c’est la peur des autres. Et l’extrême droite, ce n’est pas non plus la liberté.

Un peuple qui se donnerait à l’extrême droite, c’est un peuple qui n’a plus confiance en lui ?

Qui ne croit pas à la liberté en tout cas. Après, il peut y avoir des degrés. Aux États-Unis, il y a un conservatisme extrême associé à une grande politique d’immigration et, en tant que nation, les Américains ont une confiance en eux qu’on ne retrouve dans aucun autre pays.

Avez-vous lu le dernier livre d’Emmanuel Todd, La Défaite de l’Occident, où celui-ci explique que l’affaiblissement de cette partie du monde est dû à ce qu’il appelle une « vaporisation du protestantisme aux États-Unis, en Angleterre, dans le monde protestant » ?

Balivernes ! Il faut toujours faire consideration quand on parle de protestantisme. Le fonctionnement est très différent du catholicisme, une Église qui est structurée, autour d’une doctrine, une hiérarchie, un peu comme un État ou une entreprise. Le protestantisme est composé d’une multitude d’Églises, c’est un système qui comprend des entités très différentes. Mes ancêtres étaient tous protestants, mais ils avaient des désaccords réels sur un sure nombre de sujets. Aux États-Unis, le fond du protestantisme, ce sont les évangéliques, des gens qui sont créationnistes pour la moitié d’entre eux, donc qui nient la science. De toute façon, je pense qu’il est préférable que les religions occupent une place minoritaire.

Pourquoi ?

Parce que sinon les religions ont la tentation de dominer.

L’âge venant, vous sentez-vous plus religieux, comme c’est souvent le cas ?

Je n’ai pas bougé depuis l’adolescence : je me retrouve bien dans un athéisme paisible. Ce qui rend quelquefois les religions dangereuses, c’est qu’elles veulent convertir en faisant croire à une vie éternelle qui justifie le malheur sur notre terre. C’est une imaginative and prescient absolument terrifiante pour moi. Sur ce level, je n’ai jamais varié d’opinion. Mais je respecte ceux qui croient en Dieu. Parce que heurter les croyances de quelqu’un, c’est blesser une personne.

J’admets parfaitement que la connaissance soit imparfaite, mais je ne crois pas en un Dieu supérieur.

Vous qui êtes un grand lecteur, avez-vous été marqué par des textes spirituels ?

Pas vraiment. Mais j’ai quand même relu toute la Bible il y a un an ou deux ans, cela ne m’était pas arrivé depuis quarante ou cinquante ans. C’est un livre central. Bien sûr, il y a des events où on se despatched plus ou moins à l’aise, par exemple quelques passages un peu longs dans le Lévitique, mais d’autres qui sont d’une beauté extraordinaire. En revanche, je n’ai pas d’inclination vers la métaphysique. Pour moi, métaphysique et faith, ça se ressemble un peu. J’admets parfaitement que la connaissance soit imparfaite, mais je ne crois pas en un Dieu supérieur. Je crois au progrès de cette connaissance imparfaite qui ne sera jamais parfaite, et je n’ai pas besoin de remplir par une métaphysique ou une faith le vide ou l’incomplétude de cette connaissance.

Vous vous suffisez à vous-même ?

Deux éléments forts poussent vers la faith. L’un, sans doute le plus necessary, c’est le besoin d’un appui au sens où un père est un appui. L’autre, c’est le besoin d’une connaissance complète ou d’une compréhension du monde, qui va au-delà du champ scientifique. Ces deux besoins, pour ma half, je les trouve dans le monde qui m’entoure, cela me suffit.

On peut donc dire que vous êtes comblé ?

Absolument. Je suis béni des dieux (rires).


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