« Je ne me suis jamais senti aussi vulnérable » | EUROtoday
Il a été le héros du 77e Festival de Cannes, en 2024. Exfiltré d’Iran le 12 mai, quelques jours avant la présentation de son movie Les Graines du figuier sauvage en compétition sur la Croisette, Mohammad Rasoulof, 52 ans, a quitté dans l’urgence son pays et traversé les montagnes pour gagner l’Occident, afin d’échapper au régime des mollahs qui venait de le condamner à cinq ans de jail ferme, assortis de plusieurs coups de fouet.
Récit tétanisant de la descente aux enfers de deux sœurs étudiantes et de leur mère, impliquées à Téhéran, sans le vouloir, dans le tourbillon du mouvement Femme, vie, liberté, Les Graines du figuier sauvage a marqué un level de non-retour pour le cinéaste. Sa cost frontale contre la République islamique et sa dénonciation de la violente répression des manifestations qui ont suivi, en 2022, la mort de la jeune Mahsa Amini, ont valu à l’artiste d’être définitivement mis hors circuit par le pouvoir, ce dernier l’accusant de « collusion contre la sécurité nationale ».
Déjà emprisonné en 2010 avec son confrère Jafar Panahi pour « actes et propagande hostiles à la République islamique d’Iran », interdit de sortie du territoire en 2020 alors que Le diable n’existe pas, son chef-d’œuvre contre la peine de mort, recevait l’Ours d’or à Berlin, Mohammad Rasoulof ne pouvait plus tolérer d’être de nouveau embastillé. Son arrivée shock à Cannes, au terme d’un périlleux périple clandestin, puis le prix spécial du jury octroyé au movie (dommage : il méritait au centuple la Palme d’or) ont foudroyé le Festival d’une émotion sans pareille.
Désormais réfugié politique à Hambourg, en Allemagne, où il a retrouvé sa fille, Mohammad Rasoulof se bat toujours. Mais cette fois, dans cette liberté enfin goûtée, l’ombre affrontée est plus insidieuse et mélancolique. Discret après une rafale d’interviews pour la promotion des Graines du figuier sauvage (sorti le 18 septembre dernier en France), le réalisateur profite certes d’un quotidien débarrassé de la peur et scandé par les rendez-vous bienveillants de la planète cinéma. Mais le mal du pays le ronge plus qu’il ne l’imaginait. Nous l’avons rencontré cette semaine, au Luxembourg.
Le cinéaste insoumis (un vrai, lui…) est l’invité, comme président du jury, d’un autre pageant worldwide consacré au 7e artwork : celui de Luxembourg-ville, dont la 15e édition refermera ses portes le 16 mars. Avenant et souriant, cet homme à la voix douce et au verbe sûr, d’une finesse infinie et d’un braveness hors normes, confie sans filtre le spleen de sa nouvelle vie d’homme libre mais déraciné. Et déterminé à rentrer un jour dans sa patrie débarrassée des fous de Dieu.
Le Point : Dix mois après le tumulte de votre départ clandestin d’Iran et de la présentation des Graines du figuier sauvage en compétition au Festival de Cannes, vous voilà donc président du jury worldwide au Luxembourg City Film Festival. Comment vivez-vous cette nouvelle state of affairs ?
Mohammad Rasoulof : Je vois cette expérience de président de jury comme une event pour moi de m’enrichir à travers le regard d’autres artistes. Lorsque cette fonction m’a été proposée, accompagnée des noms des jurés, je me suis réjoui d’avance à l’idée d’apprendre tant de choses d’autres movies, mais aussi du regard des jurés sur ces movies. Nous avons tous des goûts, des exigences et des sensibilités différentes, qu’il sera passionnant de comparer. Je ne vois pas le cinéma – ni aucune autre forme d’artwork – comme un champ de bataille ou de compétition. J’ai surtout l’impression que tout l’enjeu d’un pageant est de mettre en commun notre sens de l’artwork, de la tradition et de la vie tout simplement.
Comment cette fonction de président de jury d’un pageant de cinéma facilite-t-elle votre acclimatation à votre nouvelle vie d’homme libre ? Avez-vous le sentiment d’être devenu un cinéaste plus… « regular »… amené à vivre une vie d’artiste plus « normale », sans le cauchemar liberticide que vous viviez dans votre pays d’origine ?
Bien sûr que j’aspire à devenir un cinéaste plus regular… Mais ce n’est pas si easy. On ne se défait pas du jour au lendemain de son passé, même au travers d’activités plaisantes comme celle que vous décrivez. Impossible de me défaire encore aujourd’hui des difficultés que j’ai rencontrées, de celles que rencontre le peuple iranien. Tout cela me poursuit toujours. Alors, certes, il est plus agréable de subir moins de pression désormais. C’est agréable de prendre enfin de la distance avec les peurs quotidiennes qui étaient les miennes.
En Iran, certains jours, je n’osais même pas ouvrir une porte parce que je me demandais toujours ce qui m’attendait derrière. C’est un peu passé mais malgré tout, des réflexes perdurent : en arrivant aujourd’hui à l’hôtel, j’ai vu que l’une des functions de mon téléphone transportable ne fonctionnait plus et je me suis dit instinctivement : « Tiens, ça vient sûrement de Téhéran, ils ont dû la bloquer. » Je suis ravi d’être un peu plus intégré dans le monde du cinéma et sa routine. Mais tout ne change pas, loin de là.
Au second de la sortie française des Graines du figuier sauvage, le 18 septembre, donc quatre mois après votre départ d’Iran, vous disiez d’ailleurs n’avoir toujours pas digéré votre nouvelle vie d’exilé, ni la liberté. Qu’en est-il aujourd’hui ?
(Long silence) Il faut plus de temps encore… Comme les gens qui ont eu des parcours semblables au mien, j’ai l’impression d’errer dans une sorte de purgatoire. Je ne suis plus tout à fait de l’endroit dont je suis parti, ni à l’endroit qui fut ma vacation spot. Eux comme moi, nous sommes dans un entre-deux. Si je retournais en Iran demain, je sais que ce ne serait déjà plus le même pays, tant il s’y passe des choses étranges et inattendues depuis dix mois, tant la vie des Iraniens est devenue plus difficile…
Et en Allemagne, je n’arrive pas encore à appréhender mon environnement. Le premier outil pour cela est la tradition… et le premier outil de la tradition est la langue. Comme je ne maîtrise toujours pas la langue de ce pays où je vis, j’ai l’impression d’avoir une notion érodée, peu précise, abstraite de tout ce qui m’entoure… presque cubiste, comme une peinture de Picasso. Ce que j’entends et je vois n’a pas la même acuité ni la même finesse que lorsqu’on est vraiment familier d’une tradition. Je crains que cet entre-deux ne s’installe.
Où en êtes-vous de votre apprentissage de l’allemand ?
C’est en cours… et pour l’on the spot, je sais très bien dire quatre mots ! (rires)
Qu’en est-il de votre propre statut ? Comptez-vous demander la nationalité allemande ?
J’ai obtenu voici quelques jours un nouveau titre de voyage en tant que réfugié, valable trois ans et renouvelable, utilisable pour tous mes déplacements sauf en Iran évidemment. Je ne sollicite rien d’autre parce que j’espère bien que la République islamique est proche de sa fin et que je n’aurai pas à faire d’autres démarches. Tant que je vivrai en Allemagne, je ferai tout pour être un membre actif de la communauté des artistes et cohabiter avec mes pairs dans ce pays qui m’accueille. Mais le jour où j’aurai la possibilité de rentrer pour me remettre au service de ma patrie, à laquelle je suis si attaché, je ne perdrai pas un seul on the spot.
Quelles sont vos nouvelles les plus récentes de vos comédiennes exilées : Mahsa Rostami et Setareh Maleki (interprètes respectives, dans le movie, de Rezvan et Sana, fille aînée et fille cadette du juge d’instruction du régime incarné par l’acteur Missagh Zareh) ? Et aussi de Soheila Golestani (alias Najmeh, la mère), restée en Iran ?
Mahsa Rostami et Setareh Maleki profitent toujours de leur visa américain, valide jusqu’à la fin mars, dans le cadre de leur voyage pour les Oscars. Missagh va rentrer en Iran après un voyage en Australie. Quant à Soheila, je n’ai pas de nouvelles récentes. Elle a comparu seule devant le tribunal lors du procès intenté au movie par les autorités pour propagande contre le régime et incitation à la débauche. Elle est libre sous warning en attendant le verdict. Nous sommes tous dans un état suspendu à ce verdict, mais Mahsa et Setareh se sentent, elles aussi, en insécurité, elles n’ont pas choisi leur state of affairs, cette immigration forcée sans retour doable. C’est une query très grave.
Vous évoquiez tout à l’heure la state of affairs de plus en plus difficile pour les Iraniens. Vous pensez à l’aggravation de l’inflation ces derniers mois, aux démissions récentes de membres réformateurs du régime et aux pressions de Donald Trump ?
Oui, tout cela et d’autres nouvelles toujours mauvaises en général. Ce qui devient de plus en plus inquiétant, c’est la menace de la guerre. Si une guerre éclate contre l’Iran, j’ai peur de ce que va devenir le peuple iranien, pris en étau entre un régime qui n’en représente qu’une infime partie et des pressions étrangères de plus en plus accablantes. Comment parvenir à faire tomber le régime sans abîmer le peuple ? Si j’ai choisi de faire les movies que je fais, c’est précisément pour parler de la société dans laquelle je vis et c’est l’avenir de mon pays qui m’intéresse en priorité.
Comment faire pour lui venir en aide ? En ce second, je regarde les pictures des barrages en Iran qui ne sont plus remplis qu’à 15 % : on est au seuil d’une grande disaster écologique, les Iraniens pourraient être privés d’eau… Si même la state of affairs en vient à devenir alarmante sur le plan environnemental, remark ce régime peut-il continuer à n’être obnubilé que par des chanteuses qu’il arrête à tour de bras ? Comment concevoir qu’un régime proceed de se focaliser sur une idéologie religieuse aussi délétère, alors qu’il est sur un baril de poudre et le sait très bien ? Cela occupe mes pensées chaque jour.
J’aimerais faire des movies chez moi et on m’en empêche. Tourner en persan et je ne peux pas le faire. C’est la pire des contraintes… Je suis ici alors que je voudrais être là-bas.Mohammad Rasoulof
Partagez-vous tout de même l’optimisme de la lauréate du prix Nobel de la paix Narges Mohammadi lorsqu’elle proclame avec certitude que « la république islamique d’Iran tombera » ?
Je n’en doute absolument pas. Ma seule inquiétude concerne le coût de cette chute pour le peuple iranien… et son échéance.
Réfléchissez-vous toujours au sujet de votre prochain movie, sera-t-il toujours dans la veine politique très frontale des Graines du figuier sauvage ?
Je ne peux pas les séparer. Il m’est unimaginable de distinguer mon activité artistique de ma conscience sociale ou politique, c’est l’essence de ma personne, c’est ce que la vie m’a inculqué. Si l’on dit que le cinéma est le lieu de la rêverie et de l’imaginaire, pour moi il n’y a pas plus grand rêve que la liberté.
Maintenant que vous ne vivez plus sous la contrainte du régime iranien, que vous n’allez plus tourner dans l’urgence de la clandestinité, craignez-vous paradoxalement que cela n’affecte votre inspiration ?
Parce que vous pensez que je vis sans contrainte ? J’aimerais faire des movies chez moi et on m’en empêche. Tourner en persan et je ne peux pas le faire. C’est la pire des contraintes… Je suis ici alors que je voudrais être là-bas. Toutes mes idées pour mon prochain movie sont liées à ce thème, à cette réflexion : remark se libérer de son passé, remark être issu d’un terreau de tyrannie et apprécier la liberté retrouvée. Pour mon prochain movie, il y a une histoire qui me taraude, je ne l’ai confiée encore à personne et je pense que c’est celle-là qui l’emportera sur les autres idées en cours. Mais je ne suis pas encore décidé, je suis encore trop bouleversé par mon exil.
Ne pensez pas que je sois heureux de cet état, je ne parviens pas à dépasser mon attachement à mon pays. Je sais que nous devrions nous sentir tous des citoyens du monde et nous enrichir dans n’importe quel contexte, mais tout est allé tellement vite que je n’ai pas eu le temps de tout comprendre. C’est seulement maintenant que je prends la mesure de ce déracinement et je suis moi surpris de la douleur que je ressens et que je n’arrive pas à surmonter. Je ne me suis jamais senti aussi vulnérable, même aux heures les plus sombres des épreuves les plus dures que j’ai eues à affronter en Iran. Cette épreuve-là est d’une autre nature… (Il se montre très ému, NDLR).
Est-ce que le cinéma vous aide dans ce quotidien ? Allez-vous voir des movies ?
Oui, je vois beaucoup de movies, en salle ou à la télé. L’art et le cinéma me servent de baume pour remédier à ce mal-être. J’ai récemment adoré Conclave, j’ai tout aimé dans ce movie, je me suis identifié à ses enjeux, à son thème sur les limites morales, le passé des individus et quand un groupe doit décider du kind de certains…
J’ai été aussi très marqué par La Jeune Femme à l’aiguille, qui m’a littéralement empêché de dormir. Le sentiment maternel est l’une de nos croyances les plus profondes en Iran et le movie a fait trembler tous mes repères. Sur le plan du langage cinématographique, je l’ai aussi trouvé très fort et j’espère pouvoir rencontrer bientôt le réalisateur, j’ai beaucoup de questions à lui poser !
Moi, j’en ai une sur le dernier acte des Graines du figuier sauvage. Avec cette traque tétanisante des deux jeunes femmes et de leur mère par le père de famille, ce juge devenu ivre de colère, arme à la principal, dans un dédale de vieilles pierres… Beaucoup de cinéphiles ont pensé à la fin du Shining de Kubrick. C’est une référence assumée ?
Oui et c’est à la lecture de cette séquence finale que je me suis rendu compte de la présence permanente, dans mon imaginaire, de deux movies que j’adore particulièrement : Shining et Les Chiens de paille, de Peckinpah. C’était nouveau d’assumer ce style de filiation pour moi, je n’ai pas l’habitude. Mais quand j’y repense, je regrette un peu de ne pas avoir davantage consacré mon movie à l’analyse psychique de ce personnage du juge, son parcours psychological. Il y avait tellement d’enjeux géopolitiques à traiter que je n’ai pas eu le temps de m’attarder sur l’individu.
Vous étiez particulièrement attaché à l’entretien de vos plantes à Téhéran… Vous en êtes-vous racheté à Hambourg ?
(Il sourit) Non, pas encore… Ma sœur, qui est toujours en Iran comme toute ma famille (ses deux sœurs, son père et son frère, NDLR), m’envoie souvent des photographs de mes plantes, qu’elle arrose régulièrement, donc je les vois toujours à distance. Tenez, regardez (il kind son transportable et nous montre les photographs de quelques plantes vertes au soleil, devant une fenêtre à l’intérieur d’une delicacies, NDLR). Vous voyez ce lengthy mur au loin, dehors ? C’est celui de la jail d’Evin (où Rasoulof a été lui-même enfermé en 2010, NDLR). Depuis ma fenêtre, j’ai vue sur ce mur, de l’autre côté duquel nombre de mes amis sont enfermés.
Le Nouvel An persan sera fêté le 21 mars. Avec qui le passerez-vous et que peut-on vous souhaiter ?
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Je le passerai à Hambourg avec ma fille et vous pouvez me souhaiter la libération de l’Iran bien sûr. Elle marquerait aussi une paix retrouvée dans la région et un nouvel équilibre mondial donc c’est aussi un souhait pour le monde entier. Après, il y aura surement d’autres fous sur la planète à aller chercher…
Propos recueillis au Luxembourg City Film Festival avec l’aide de l’interprète Massoumeh Lahidji. Remerciements à Carole Chomand et Axel Foy.
https://www.lepoint.fr/culture/mohammad-rasoulof-realisateur-des-graines-du-figuier-sauvage-je-ne-me-suis-jamais-senti-aussi-vulnerable-14-03-2025-2584689_3.php