L’immense photographe Sebastião Salgado est mort | EUROtoday

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Dans son exposition Aqua Mater, en 2022 sur le parvis de la Défense, Sebastião Salgado montrait une quarantaine de photographies grand format dans un bâtiment de bambou dessiné par les architectes colombiens Simón Vélez et Stefana Simic. Ces photographs en noir et blanc, prises aux quatre cash du monde, s’inscrivaient dans l’ambitieux projet que le photographe brésilien a entamé il y a bientôt cinquante ans : raconter remark les êtres humains s’adaptent aux environnements les plus hostiles. Sebastião Salgado, considéré comme l’un des plus grands faiseurs d’photographs de son temps, est mort vendredi 23 mai 2025 à l’âge de 81 ans. Nous republions à cette event cette interview, dans laquelle il racontait la naissance de sa vocation de photoreporteur.

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Le Point : Le grand public ne le sait peut-être pas, mais votre itinéraire n’a rien de linéaire. Vous avez commencé par des études d’économie. Racontez-nous remark vous vous êtes retrouvé à faire de la photographie…

Sebastião Salgado : C’est vrai. J’ai commencé par des études d’économie. Je suis né au Brésil dans une famille d’agriculteurs. Mon père était éleveur de bétail dans la petite ville d’Aimorés (dans l’État de Minas Gerais, au centre sud du Brésil). J’ai suivi un cursus d’économie à l’université de São Paulo, puis je suis venu en France pour étudier à l’École nationale de la statistique et de l’administration économique Paris (ENSAE). J’ai ensuite travaillé pour l’Organisation internationale du café à Londres. C’est au cours des missions que j’effectuais pour cette establishment que j’ai commencé à faire des photographs, en Afrique notamment, où je conduisais divers projets de soutien aux économies locales.

À quel second vous êtes-vous retrouvé derrière un objectif pour la première fois ?

Quand j’étais à l’ENSAE, ma femme (Lélia Wanick Salgado, NDLR) étudiait l’structure aux Beaux-Arts de Paris. C’est pour photographier ses travaux qu’elle a acquis notre premier appareil. Je n’avais jamais fait de picture avant. Je me souviens très bien de ce second décisif et du modèle… c’était un Pentax, Spotimatic 2. On l’avait acheté à Genève en juin 1970 quand nous passions des vacances en Haute-Savoie. Cet achat a été une révélation. J’ai eu le sentiment, en regardant par le viseur, que je découvrais le monde sous un nouveau jour, que je pourrais enfin garder la hint de ces photographs évanescentes qui filaient jusque-là devant moi sans que je puisse les saisir. Qu’est-ce que j’ai aimé cet appareil ! Il était beau, il sentait bon.

Vous l’avez gardé longtemps ?

Malheureusement pas. On nous l’a volé, six mois plus tard, lors d’un voyage à Amsterdam. Et je dois dire que ça a été un drame absolu. Quand l’écrivain Jorge Amado (1912-2001) est venu à Paris quelque temps après, j’ai dû emprunter un appareil à une copine pour pouvoir le prendre en picture. Nous étions amis avec Amado. Il avait horreur de l’avion, on l’a accompagné en voiture jusque dans le sud de la France pour qu’il puisse prendre un bateau afin de revenir au Brésil. À l’époque, le paquebot qui reliait l’Italie et l’Amérique latine faisait escale au massive de Cannes. Jorge nous a donné un peu d’argent pour qu’on puisse racheter un appareil. Mais comme on ne roulait pas sur l’or, on a dû multiplier les petits jobs avant de pouvoir avoir un boîtier Nikon. On est allé le chercher en Andorre, automotive c’était une zone franche et que c’était moins cher.

À LIRE AUSSI Sebastião Salgado craint un « génocide » des peuples d’AmazonieA-t-il été facile de quitter ce poste d’économiste dans une grande organisation internationale pour vous lancer dans la picture en indépendant ?

L’idée s’est imposée progressivement. Lors de ma première mission au Rwanda, j’ai tourné dans le pays pendant plus d’un mois en voiture. Je travaillais sur un file de diversification de l’économie agricole. Nous avons financé la création des premières plantations de thé dans ce pays. Et ce thé, je m’en réjouis, determine aujourd’hui parmi les meilleurs du monde ! Quand je suis revenu à Londres, j’ai compris que j’avais pris plus de plaisir à faire des pictures qu’à rédiger mon rapport. Mes clichés me sont vite apparus plus précieux que mes rapports économiques. Mais remark sauter le pas ? J’avais une vie agréable. J’étais très bien payé. Après des débuts difficiles, j’avais enfin une existence de rêve : un appartement dans Queensway, et une belle voiture, une Triumph Spitfire.

Comment s’est opéré le déclic ?

Les week-ends, Lélia et moi avions un petit rituel : nous allions nous promener à Hyde Park. Là, nous prenions un petit bateau pour naviguer sur Serpentine Lake. Nous arrêtions notre bateau au milieu du lac pour parler de cette hypothèse d’abandonner mon travail d’économiste. On venait de me proposer un poste à la Banque mondiale. Il fallait que j’aille à Washington ce qui, en soi, ne me déplaisait pas. Mais ma vraie envie, c’était de faire de la picture.

Je suis devenu photographe de guerre un peu par hasard.

Et votre femme a dit « d’accord » ?

Oui. On a pris ensemble cette décision. J’ai posé ma démission. Mon directeur m’a dit que j’étais fou. J’avoue que, devant sa réaction, j’ai eu un petit second de doute. Mais nous sommes quand même revenus nous installer à Paris.

La France joue un rôle particulier dans votre itinéraire. Pourquoi ?

Si nous sommes revenus à Paris, c’est qu’on est des Latins, et Paris est le centre de notre monde. On avait des économies. On pensait que nous pourrions tenir quelque temps. Malheureusement, tout a fondu très vite. Nous avions pris un bel appartement dans le 13e arrondissement et, six mois plus tard, nous nous sommes retrouvés dans une petite chambre de bonne, quai de la Mégisserie. La vue sur la Seine était magnifique, mais nous vivions dans 13 m2, au 6e étage sans ascenseur. Notre propriétaire était une dame très gentille qui nous avait pris en affection. Quand elle a su que je m’intéressais à la picture, elle m’a dit que je devais absolument rencontrer l’un de ses amis qu’elle avait connu à Shanghai avant la Seconde Guerre mondiale, quand son père était le responsable du système de tramway. Elle nous a fait venir un soir chez elle et elle nous a présenté Henri Cartier-Bresson. Henri a joué un rôle fondamental pour moi.

À LIRE AUSSI Mon Cartier-Bresson à moi ! Comment ?

En me parlant, en m’encourageant, en me faisant prendre conscience que je portais un regard singulier sur le monde.

Comment avez-vous intégré l’agence Sygma ?

J’ai commencé très vite à faire des pictures que je vendais aux journaux. Mon premier grand reportage a consisté à couvrir la grande sécheresse qui a frappé le Sahel à l’été 1973. Des contacts que j’avais gardés à la FAO (l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture à Rome, NDLR) m’avaient exposé les enjeux de la désertification. On ne parlait pas encore de réchauffement climatique, mais c’était bien cela qui était déjà à l’œuvre. J’avais un ami à Niamey, au Niger, qui travaillait pour le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD-Terre Solidaire). Nous avons débarqué chez lui. Lélia était enceinte de notre premier fils, Juliano. Nous y avons passé l’été. Grâce à une relation locale, nous avons sympathisé avec les pilotes des avions qui apportaient des denrées alimentaires au cœur du Sahel. On montait avec eux à bord des C-130. Ils nous déposaient au milieu du désert dans des petits hameaux. On restait quelques jours, puis on revenait avec l’avion suivant.

Ce sujet est l’un des premiers à témoigner des bouleversements climatiques qu’évoque votre nouvelle exposition.

Oui. Tout était déjà là, sous nos yeux. Il suffisait de regarder. En août, à mon retour à Paris, je suis retourné voir un directeur de la photographie du groupe Bayard Presse que j’avais démarché avant de partir. Il m’avait dit de revenir si j’avais un sujet. Mes pictures ont commencé à être publiées là. La drive de frappe des médias de ce groupe était énorme. SOS Secours Catholique tirait à 1,2 million d’exemplaires. Plus que Lui ! Mes pictures sont parvenues chez Sygma. On m’a proposé d’intégrer leur agence. J’y ai couvert une multitude de sujets sociaux : j’ai arpenté les foyers de migrants et couvert notamment la transformation des bidonvilles de Nanterre en quartier d’affaires.

Comment êtes-vous devenu photographe de guerre ?

Un peu par hasard. Hubert Henrotte (1934-2020), fondateur de l’agence Sygma, m’envoie au Mozambique pour couvrir la fin de la colonisation. Je réalise sur place que j’ai un avantage sur les autres photographes : c’est que je parle le portugais, la langue locale. En juin 1975, au second où j’intègre l’agence Gamma, la guerre en Angola (un autre pays lusophone, NDLR) se déclenche. C’est Jean-Claude Francolon, un ami à moi et photographe à l’agence Gamma, qui doit y aller mais il vient d’être blessé au Vietnam. Il me recommande auprès de Floris de Bonneville, le patron de Gamma, et se porte garant de moi. On me donne des pellicules mais, à la veille de mon départ, on annule tout automotive le conflit a perdu en intensité. On me demande de rendre les bobines. J’explique à Floris que c’est compliqué automotive j’ai ouvert les boîtes et transféré tous les movies, comme je le fais à chaque fois pour gagner de la place, dans des boîtes à diapo. J’ai l’impression que j’ai fait une boulette. Mais il me dit : « Sebastião, les movies sont inutilisables par un autre photographe, c’est mieux que tu les utilises en Angola », et c’est comme ça que je suis parti…

Pourquoi avez-vous quitté Sygma pour l’agence Gamma ?

J’ai toujours eu besoin de temps pour me consacrer à un sujet. J’ai le désir de m’immerger complètement dans un environnement, de passer des journées entières avec les gens que je photographie. C’était difficile dans une agence picture d’actualité qui privilégiait les coups : le hard-news, le folks… Gamma m’a ouvert les bras en 1975. J’y ai passé quatre ans.

Que vous a apporté cette expérience ?

Gamma a été mon école de photojournalisme. J’ai appris à y travailler vite et bien. Du moins aussi efficacement que potential. J’ai commencé à arpenter le monde, grâce à cette agence. À mon retour d’Angola, la révolution des Œillets s’est déclenchée au Portugal. J’y ai passé de longs mois avec femme et enfant (son premier fils est né en février 1974, NDLR). Je me suis ensuite retrouvé en Irlande pendant les affrontements. Je suis allé en Ouganda, en juillet 1976, au second de l’intervention israélienne à Entebbe pour faire libérer les passagers d’un vol Air France entre Tel-Aviv et Paris. Pendant quatre ans, j’ai réalisé des milliers d’photographs à travers la planète.

Qu’est-ce qui vous pousse à partir chez Magnum en 1979 ?

Après avoir suivi une formation quelque half, vous avez deux possibilités : soit vous quittez les bancs de l’école, soit vous restez et vous devenez alors professeur. Comme je ne me sentais pas pédagogue, mon seul choix était de partir.

C’est Henri Cartier-Bresson qui vous incite à venir dans son agence ?

Au départ, je pense intégrer Contact Press picture que viennent de fonder mes amis Robert Pledge et David Burnett. Mais il y a un problème : il faut que j’accepte que mes négatifs soient stockés aux États-Unis. Je vais suivre alors les pas de mes amis de Gamma Jean Gaumy et Raymond Depardon. Les deux ont intégré Magnum. Le premier en 1977, le second en 1978. Je vais y déposer mes bagages en 1979. L’accueil de George Rodger (1908-1995) est formidable. Je suis très fier d’intégrer cette maison où Erich Lessing (1923-2018) a travaillé jusqu’à sa mort. On oublie qu’avant de faire ses pictures de musées, il a été un reporteur colossal. Il a aussi été un de mes parrains en photographie. Mon père était franc-maçon. Erich l’était aussi. Il m’a pris sous son aile. Il m’appelait son neveu. Toutes ces personnes vont énormément m’apporter. Je garde évidemment un memento très ému de l’consideration que m’accordait Henri Cartier-Bresson. Et je n’oublierai jamais la première fois que je lui ai montré la maquette de mon livre La Main de l’Homme. Ce n’était qu’une ébauche. Lélia avait fait la mise en web page. Il a regardé chaque picture. Ça lui a pris deux heures. Et, à la fin, il s’est agenouillé devant moi sans dire un mot. J’en ai les larmes aux yeux, rien que d’y repenser.

À LIRE AUSSI Quand Depardon faisait son serviceLe printemps 1981 constitue un second essential dans votre parcours. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?

À cette date, cela fait deux ans que je suis à Magnum. Je suis parti en Australie pour deux sujets : le premier sur les Flying docs, les médecins qui sillonnent cet immense pays à bord de leur petit avion, et le second sur la chasse au kangourou, la nuit. Au retour, à Sydney, je rencontre à l’aéroport un photographe anglais qui est pressé de rentrer à Londres pour régler un problème familial. Comme son vol de retour le fait passer par les États-Unis et qu’il est dans l’urgence, nous échangeons nos billets. Mon vol est en effet plus courtroom. À l’époque, on contrôle à peine les noms des passagers. Ce style de choses serait inimaginable aujourd’hui. Je fais deux escales aux États-Unis. La deuxième est à New York et je décide de m’arrêter pour m’acheter des pellicules par rouleaux de 30 mètres. C’est beaucoup plus économique. Quand il apprend que je suis là, Fred Ritchin, directeur de la picture du New York Times Magazine, me demande de passer à la rédaction. Il me suggest un reportage : couvrir les débuts de Ronald Reagan à la Maison-Blanche. J’hésite à accepter. Comme je rentre d’Australie, je n’ai pas de vêtements adaptés pour entrer à la présidence. Or, je sais que Nancy Reagan est très attentive à l’étiquette.

L’attentat contre Reagan ? Je vais faire 76 photographs en une minute. Je suis au bon endroit, au bon second.

Que faites-vous ?

Je me fais prêter des habits par des photographes de Magnum. Bruce Davidson me file une veste. On a la même taille. Il a juste les bras un peu plus courts que moi. Je me retrouve avec une tenue relativement adaptée. Je n’achète qu’une selected : une paire de chaussures. Et je suis convoqué le samedi matin pour rencontrer le porte-parole du président, James Brady. Il me dit que je serai le seul photographe sur le coup et m’offre, pour preuve, la possibilité d’accompagner le couple Reagan dans un temple protestant le lendemain pour l’workplace dominical. Je ne suis pas dupe de l’opération de communication. Ronald Reagan a commencé à dégringoler dans les sondages, et je fais les pictures.

Le lendemain, nous sommes le lundi 30 mars 1981. Et votre vie bascule, racontez-nous…

Ronald Reagan doit faire un discours au Hilton devant les membres de la Fédération américaine du travail / Congrès des organisations industrielles (AFL-CIO). Brady me dit qu’il ne peut pas me rajouter sur le itemizing des invités automotive il ne peut pas m’accréditer en dehors de la Maison-Blanche. Comme je veux absolument y aller, il me dit de me glisser avec un groupe de policiers qui doit assurer la safety du président. Je fonce à l’hôtel et fais des pictures. À la sortie, je me glisse dans la foule. Comme j’appuie sur le déclencheur, j’entends des détonations. Je reconnais immédiatement le bruit des coups de feu. Je m’approche. C’est le chaos : quelqu’un tente de tuer Ronald Reagan. Le tireur vide son chargeur avant d’être neutralisé. Les policiers qui me reconnaissent me laissent passer le cordon de sécurité. Je vais faire 76 photographs en une minute. Je suis au bon endroit, au bon second.

Que vont devenir ces pictures ?

Elles sont publiées dans le monde entier. C’était une immense vente à l’worldwide. On va pouvoir acheter notre appartement à Paris. Le directeur du laboratoire picture du New York Times à Washington, George Tames (1919-1994), a un geste extraordinaire. Certains considèrent que, comme je travaille pour le Times, c’est eux qui sont propriétaires des photographs. Mais lui fait les contretypes immédiatement pour le journal et me rend mes originaux. Ces pictures, après cette distinctive utilisation, je les ai mises au coffre à jamais.

Pourquoi ?


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À trigger d’une rencontre avec un photographe, quelques heures après à la Maison-Blanche. Il m’a donné sa carte où il se présentait comme le photographe de l’attentat de Kennedy, où je savais qu’aucune picture n’avait été faite. Le easy fait d’avoir été dans le native au second de l’attentat lui avait donné le droit d’accéder à ce statut : une démarche que je considère comme suicidaire. Cela m’a fait froid dans le dos. Je ne voulais pas être réduit à cette journée du 30 mars 1981. Je ne voulais pas me retrouver enfermé pour l’éternité dans ce rôle. Une minute de ma vie n’allait pas prendre le contrôle de toute mon existence. Les pictures existent. Certaines n’ont jamais été publiées. Je les trouvais trop trash. Je les ressortirai peut-être un jour, quand je serai vieux.

*Exposition « Aqua Mater », sur l’esplanade de la Défense. Jusqu’au 22 septembre. Plus d’informations sur le web site de l’exposition : ici.

https://www.lepoint.fr/culture/comment-sebastiao-salgado-est-venu-a-la-photo-31-03-2022-2470371_3.php