« Battez-vous, battez-vous et gardez espoir » | EUROtoday

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Mario Draghi était l’invité des rencontres économiques d’Aix-en-Provence samedi 5 juillet. Accompagné sur scène de ses deux amis, Philippe Aghion, professeur au Collège de France, et Benoît Cœuré, président de l’Autorité de la concurrence, il a livré un plaidoyer pour une Europe plus compétitive, 10 mois après la sortie de son rapport.

Le Point publie en intégralité l’intervention des trois économistes. Philippe Aghion et Benoît Cœuré se sont exprimés en français ; Mario Draghi, en anglais.
 

Philippe Aghion : Bonjour à tous. Depuis la fin des années 1980, nous déclinons par rapport aux États-Unis. Ce n’est pas seulement le PIB européen qui décline par rapport au PIB américain. Les improvements de rupture, les improvements de haute technologie se font aux États-Unis. La query est de savoir remark l’Europe peut gravir les échelons, remark nous pouvons devenir innovants. Nous avons tous les potentiels : nous avons des chercheurs, des mathématiciens, des ingénieurs. Comment pouvons-nous devenir innovants, tout en préservant ce qui est au cœur de notre identité ? C’est-à-dire la démocratie et la liberté. Car c’est en Europe que se trouvent la démocratie, la liberté ; ce n’est plus aux États-Unis. Idem pour le modèle social et la lutte contre le changement climatique. Comment pouvons-nous devenir innovants, remark pouvons-nous nous éloigner davantage de la Chine et des États-Unis sans renoncer à ce que nous sommes ? Ce sont donc les questions que Benoît et moi devons poser à Mario Draghi et le rapport Draghi montre évidemment la voie à suivre. Je passe immédiatement la parole à Benoît.

Benoît Cœuré : Merci Philippe, et merci aussi à Mario Draghi d’être avec nous aujourd’hui. Le rapport Draghi a été mentionné environ 933 fois depuis hier (les rencontres économiques d’Aix ont commencé la veille, NDLR), il était donc temps d’en parler directement avec son auteur. Merci beaucoup d’être avec nous. Et je vais commencer par une query très easy. Le rapport a été publié il y a environ 10 mois. Quelle appréciation avez-vous de la réaction au rapport, et surtout de ce qui a été fait par la Commission européenne et par les États membres, après ce rapport ? Je peux dire, pour mettre tout le monde à l’aise, qu’il ne s’est pas passé grand-chose. Il reste deux mois avant le premier anniversaire, peut-être pour se réveiller et tirer des conclusions du rapport. Mais beaucoup d’entre nous pensent que la réaction de la Commission et des États membres a été extrêmement décevante. Est-ce un sentiment que vous partagez ?

Mario Draghi : Merci pour cette présentation. Je dois aussi vous remercier de m’avoir invité ici. Je me sens très, très honoré par cela. Aussi, mes excuses, je ne parle pas français. Je dois donc continuer en anglais. Eh bien, je pense que nous devrions en quelque sorte prendre une voie médiane pour juger les réactions de la Commission. Certaines choses, je veux dire, la selected la plus importante qui se produira cette année sera la proposition de la Commission sur le 28e régime. C’est la clé pour libérer la croissance des PME, des petites entreprises, et aussi des petites entreprises innovantes. Je pense que c’est ce que nous devrions vraiment surveiller dans les mois à venir. Certaines choses ont été faites dans le domaine de la simplification, principalement sur des sujets liés au reporting sur la CSRD (La Directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, NDLR), sur la taxonomie de l’UE. Très peu a été fait sur l’IA.

L’AI Act doit être modifié sur certains factors et donc le Règlement général sur la safety des données (RGPD) devra être modifié parfois, mais il n’y a pas vraiment beaucoup de progrès. Le Digital Market Act est positif, automobile il constitue actuellement notre principal outil pour protéger l’industrie européenne, en particulier les PME, face aux grandes entreprises américaines du numérique. Donc certaines choses ont été faites, les gigafactories, par exemple, ont suscité un énorme intérêt partout en Europe. Je pense que d’autres choses devront être faites prochainement. Le principal problème que je vois à ce stade est la vitesse. Parce que le temps moyen d’adoption d’un acte de la Commission est d’environ deux ans, et la mise en œuvre prend environ cinq ans. Et la dernière remarque que je ferai est que très peu a été fait dans le domaine de l’énergie. Laissez-moi dire juste une selected à ce sujet. Il y a une déclaration récente de Sam Altman, le fondateur et PDG d’OpenAI. Il a dit que le coût de l’IA finira par s’aligner sur le coût de l’énergie. Donc, soit nous sommes équipés pour cela, soit nous serons à la traîne dans le développement de l’IA, qui est définitivement transformationnelle.

Philippe Aghion : Je voudrais poser une query concernant la relation entre l’élection de Trump et le rapport Draghi. Je plaisante souvent en disant que Trump a lu le rapport Draghi et qu’il s’inquiète de l’avance américaine en Europe, au level de vouloir réduire l’écart en limitant le potentiel de recherche des universités américaines. Que pouvons-nous tirer de tout cela pour attirer les chercheurs américains ? Comment voyez-vous la relation entre Trump et nous ?

Mario Draghi : Trump a définitivement poussé les dirigeants européens à agir sur la défense. Il y a une selected que j’ai en tête : ce qui s’est passé en Allemagne de ce level de vue. L’Allemagne était un pays où un politicien qui se faisait photographier près de quelque selected de militaire perdait instantanément des voix. C’était un pays où, au début de la guerre russe contre l’Ukraine, un sondage indiquait que 70 % répondaient « non » à la query : « défendriez-vous votre pays s’il était attaqué ? ». Dans ce pays, le chancelier Merz a annoncé le plus grand investissement jamais réalisé dans la défense et à cette fin, il a initié une réforme majeure de la politique budgétaire allemande, allant jusqu’à modifier la structure pour permettre ce changement. Il bénéficie d’un massive soutien transpartisan. Il a également affirmé que l’Allemagne devait assumer ses responsabilités et devenir un chief en Europe, ce qui n’avait jamais été exprimé aussi clairement auparavant. En ce sens, Trump a aidé. Il a aidé à dépenser plus dans la défense. Nous l’aurions fait de toute façon mais cela a raccourci les délais. N’oubliez pas que Trump n’aime pas l’UE. Il est l’ami de tous ceux qui pensent comme lui, des gens qui détestent l’Europe et aiment Poutine. Il n’apprécie pas que l’UE cherche à s’unir pour répondre collectivement aux grands enjeux évoqués dans le rapport.

Philippe Aghion : La prochaine query que je voulais poser concerne la mise en pratique du rapport Draghi. Faut-il que tous les pays européens le fassent ensemble ? Cela peut prendre beaucoup de temps. Il y a de grandes rigidités, on le sait, au sein de l’Union européenne. Ne devrait-on pas plutôt adopter une approche qu’on pourrait qualifier de « coalition de volontaires » ? C’est-à-dire que des pays qui le souhaitent, s’unissent sur tel ou tel sujet : la défense, l’énergie, l’IA… Et les autres peuvent suivre. Quelle est votre imaginative and prescient sur cela ?

Mario Draghi : Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles le modèle de prise de décision de l’UE est en quelque sorte défaillant. Mais ces raisons ne sont pas récentes. Cela fait 20, 25, 30 ans que c’est défaillant. La différence était qu’à l’époque, nous ne percevions pas la nécessité absolue d’avoir une réponse unifiée sur une variété de sujets. Donc je dirais maintenant, la première selected est d’évaluer certaines priorités qui nécessitent une réforme unifiée. Si tout le monde ne go well with pas, si tous les dirigeants ne suivent pas, avancez simplement avec des coalitions de volontaires. Je pense que ce modèle a commencé avec la défense. Je pense que nous devrions être ouverts à cela. D’ailleurs, nos traités donnent les moyens d’agir à des groupes de pays. L’un s’appelle la coopération renforcée. Il y a aussi les traités intergouvernementaux. Il y a des précédents, comme Schengen, ou l’euro. En un sens, l’euro est une coalition de volontaires.

Benoît Cœuré : Je voudrais revenir à la microéconomie. Une grande partie du rapport traite de la sur-réglementation en Europe, un sujet qui a été abordé ces deux jours par tous les présidents d’entreprise présents ici dans différents domaines. La multiplication des réglementations locales freine l’intégration du marché distinctive, en particulier pour les providers. Le rapport, logiquement, suggest de surmonter cette fragmentation et de franchir de nouvelles étapes dans l’unification de certains marchés, par exemple le marché des télécoms. Mais il y a une query d’économie politique, c’est-à-dire que derrière chaque réglementation il y a un intérêt. Comment surmonter ces intérêts privés ? Quelle est la bonne méthode pour faire ce big-bang sans céder aux intérêts privés qui ont motivé l’existence de ces réglementations ?

Mario Draghi : Il faut du management. Comment trouver un bon exemple pour que les dirigeants comprennent réellement la responsabilité de ce mouvement ? Puisque la plupart de ces réglementations protègent de fait des intérêts domestiques, une selected m’est venue à l’esprit. Souvenons-nous de notre histoire et de la création du marché distinctive en 1986. Certaines circumstances sont étonnamment similaires à celles d’aujourd’hui. La croissance est passée de 5 % en moyenne dans les années 70 à 2 % dans les années 80. Le commerce intra-européen était essentiellement bloqué parce que le marché des biens intermédiaires, qui étaient les seuls couverts par la réglementation du marché commun, était saturé. Les États-Unis avaient adopté une série de restrictions sur nos exportations. Tout cela ressemble à la scenario actuelle, où les exportations sont sérieusement affectées par les tarifs douaniers, par la dépréciation du greenback, and so forth. Donc, fondamentalement, je pense que l’expérience passée fournit l’outil froid propice à une motion qui requiert un fort management. Car si vous n’avez pas le braveness d’affronter cela, d’aller contre les intérêts établis de votre pays, je pense qu’il ne se passera rien.

Benoît Cœuré : Vous parlez de 1986 et de l’impulsion extraordinaire de l’Acte distinctive. Mais depuis, nous avons eu la directive Bolkestein, qui voulait libéraliser les providers en Europe, et qui a échoué sur des désaccords politiques. Ici en France, on disait que le pays allait être envahi par les plombiers polonais…

Mario Draghi : En effet, il y aura des résistances. Mais ce qui s’est passé dans le domaine de la défense – quatre pays unissant leurs efforts – pourrait devenir un modèle.

Benoît Cœuré : Je voulais poser une query sur la macroéconomie. Je sais que je suis sur un terrain très wise en posant une query à un ancien président de la Banque centrale européenne. Mais il y a aussi un rôle macroéconomique dans cette dialogue. Et vous-même, dans un discours très remarqué au CEPR à Paris en décembre dernier, vous avez rappelé que si l’Europe exporte beaucoup de capitaux vers les États-Unis, si les entreprises européennes investissent au Royaume-Uni, ce n’est pas seulement à trigger de l’excès de normes et du manque de views de rendement en Europe. C’est aussi parce qu’il y a un déséquilibre entre l’épargne et l’investissement. L’Europe épargne beaucoup et l’épargne et l’investissement réunis restent insuffisants. Les politiques macroéconomiques, les politiques budgétaires, les politiques monétaires, doivent-elles accompagner la mise en œuvre du rapport Draghi ?

Mario Draghi : Je pense qu’il est attainable de répondre à cette query même si on n’a pas été banquier central auparavant. Revenons en arrière avant la grande crise financière. Ce n’est qu’après celle-ci que nous avons commencé les années d’austérité et nous restons, dans une certaine mesure, dans cette logique. Aujourd’hui, les choses changent : les exportations sont touchées, comme je le disais auparavant, et nous subissons aujourd’hui les conséquences du manque d’investissement dans les infrastructures – l’éducation, les infrastructures physiques, la recherche aussi, l’infrastructure de la R & D… Donc il va y avoir une rotation. Cette rotation n’aura lieu que si nous supprimons de nombreux obstacles au marché distinctive. Si nous décidons d’aller de l’avant avec l’investissement public et quand nous n’avons pas les ressources pour le faire, accepter le fait de créer une dette commune pour des projets communs. Je pense que c’est l’autre selected importante. Et puis, en un sens, l’union de l’épargne et de l’investissement, l’union des marchés de capitaux, viendrait en dernier.

Philippe Aghion : On dit souvent de l’Europe qu’elle est un géant réglementaire et un nain budgétaire. Donc d’abord il y a eu la règle de Maastricht : pas plus de 3 % de déficit, qui mettait sur le même plan les dépenses de fonctionnement et les investissements de croissance.

Benoît Cœuré : Nous ne l’avons jamais respecté…

Philippe Aghion : Deuxièmement, au nom de la politique de concurrence en Europe, nous avons empêché les aides sectorielles d’État. C’est-à-dire que nous étions très anti-politique industrielle au nom de la politique de concurrence. Mais avec la DARPA américaine (l’agence américaine chargée de la recherche et développement des nouvelles applied sciences destinées à un utilization militaire, NDLR) nous savons que nous pouvons concilier politique de concurrence et politique industrielle. Et comme vous l’avez dit plus tôt, nous pouvons emprunter collectivement. Ne devrions-nous pas moderniser notre logiciel économique et cesser d’être un géant réglementaire ?

Mario Draghi : Laissez-moi dire deux mots, un sur l’investissement et l’autre sur la concurrence. Sur la réglementation, nous en avons déjà parlé. Sur l’investissement, seul 1 % des dépenses a été destiné à des projets d’intérêt commun européens. La BEI a estimé que si nous coordonnions les aides d’État pour réaliser des projets communs, cela pourrait générer un achieve supplémentaire de 0,5 level de croissance de la productivité. Il y a donc un argument fort pour utiliser les aides d’État différemment. Malheureusement, même récemment, les règles sur les aides d’État ont été assouplies pour accorder des subventions à telle ou telle industrie, tout cela à l’échelle nationale. Ici, il y a, encore une fois, deux questions. L’une est que vous voulez protéger vos électeurs, en un sens, et vous avez, objectivement, des problèmes politiques qui découleraient du fait que des secteurs ne croissent plus. L’autre raison souvent invoquée est le soi-disant retour géographique. En d’autres termes, je dépense des aides d’État pour mon pays et je refuse les aides d’État pour un autre pays. Mais cela empêche de faire des projets communs or les projets communs sont souvent la seule selected que vous pouvez faire pour augmenter l’échelle. La BEI a proposé une answer intéressante à ce sujet : pourquoi ne décidons-nous pas où dépenser les aides d’État sur la base de l’efficacité, puis nous donnons à tous les members des components dans ce projet afin qu’ils puissent obtenir les retours de ces investissements. C’est une voie, une challenge. Concernant les règles de concurrence, le rapport stipule que les règles de concurrence ou les procédures opérationnelles doivent être modifiées pour tenir compte de l’innovation. La concurrence favorise l’innovation, mais aujourd’hui, la taille des entreprises joue également un rôle vital dans l’innovation. Il faut donc trouver un juste milieu ici où vous ne créerez certainement pas un environnement propice à l’innovation.

Philippe Aghion : Nous voulons devenir plus innovants. L’Europe doit innover, faire de la rupture, du high-tech. Or certains pensent qu’il faut choisir entre être innovant et socialement avancé. C’est-à-dire qu’il faut choisir entre l’innovation et la safety. Pensez-vous vraiment que nous devrions abandonner le modèle social pour devenir plus innovants ? Ou pouvons-nous devenir plus inventifs en renforçant notre modèle social ?

Mario Draghi : Le rapport rejette ce raisonnement. Je me souviens qu’au début du rapport, tous mes amis de l’autre côté de l’Atlantique disaient exactement la même selected : pour croître, il faut réduire la safety sociale, il faut reculer sur le climat, and so forth. Le rapport prend un angle différent. Il dit que nous avons des valeurs fondamentales, un système de safety sociale fort, la lutte contre le changement climatique, et qu’il ne faut pas changer cela. Alors remark pouvons-nous croître et en même temps respecter nos valeurs fondamentales ? C’est la stratégie de ce rapport. D’ailleurs, je crois sérieusement qu’avoir un système de safety sociale fort est en réalité essential en période de profondes transformations technologiques. Prenez le cas de la Suède. La Suède a à la fois un climat d’innovation florissant et un modèle de safety sociale fort. Ce modèle favorise la mobilité, un élément clé lors de grandes transformations technologiques. Il en va de même pour la transition climatique.


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Benoît Cœuré : Ma dernière query est très easy : nous avons devant nous une salle pleine de jeunes gens et notamment d’étudiants. Quel est votre message à tous ces jeunes ?

Mario Draghi : D’abord permettez-moi de dire deux mots sur le rapport. Le rapport est la contribution mixte des providers de la Commission, de l’industrie, mais aussi d’une variété de contributeurs de haute qualité. Et j’ai eu la likelihood de bénéficier de leur aide, vraiment. Deux d’entre eux sont à mes côtés en ce second et je veux citer aussi Jean Tirole. Pour revenir à votre query : ce rapport indique le chemin à suivre. Pour continuer dans cette course, il faut, je l’ai dit, du management. Il faut aussi l’élan d’une génération qui veut rester en Europe, qui veut être heureuse ici et qui veut grandir ici. À vous les jeunes qui êtes dans cette salle, mon conseil est le suivant : battez-vous, battez-vous et gardez espoir. Merci.


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