« Le Maroc connaît un vide politique préoccupant » | EUROtoday
Ancien ministre et determine majeure de la gauche marocaine, Nabil Benabdellah, secrétaire général du Parti du progrès et du socialisme (PPS), est aujourd’hui l’une des voix les plus critiques de l’opposition. Depuis plusieurs mois, il dénonce un « vide politique » et l’affaiblissement des canaux de médiation entre l’État et la société, qu’il impute à la gestion du gouvernement d’Aziz Akhannouch.
Alors que la jeunesse marocaine descend massivement dans la rue pour réclamer une éducation publique digne et un système de santé accessible, la crise actuelle semble confirmer ses mises en garde. Mais au-delà de la seule responsabilité de l’exécutif, c’est la crédibilité de la classe politique dans son ensemble qui est mise en trigger, face à une génération qui ne se reconnaît plus dans les constructions traditionnelles du pouvoir.
Dans un entretien au Point Afrique, Nabil Benabdellah alerte sur un pouvoir sourd aux signaux d’alerte et sur une génération qui refuse désormais le silence.
Le Point Afrique : En envoyant son mémorandum directement au roi, la GenZ 212 affiche son rejet des partis et du système politique. Quelle est votre lecture de cette colère ?
Mohamed Nabil Benabdallah : Je peux comprendre ce cri de colère. Il traduit avant tout le climat politique actuel, marqué par un véritable vide, par un affaiblissement de l’encadrement de la jeunesse et par un recul dans la dynamique démocratique que nous espérions après la Constitution de 2011. Il faut dire que les establishments, de manière générale, souffrent d’un déficit de crédibilité et de confiance, non seulement auprès de la jeunesse, mais aussi d’une grande partie de la inhabitants.
Les partis politiques en portent une half de responsabilité : certaines pratiques ont porté atteinte à leur autonomie et à leur indépendance de décision, ce qui a terni leur picture et affaibli leur légitimité. À cela s’ajoutent les performances décevantes du gouvernement actuel : des promesses non tenues, des discours triomphalistes sans traduction concrète sur le terrain.
Il faut reconnaître aussi que beaucoup de partis, surtout ceux de la majorité actuelle, ont déserté le terrain. Ils ne s’adressent plus à la jeunesse, ne cherchent plus à reconstruire une motion politique vivante. Et, plus grave encore, la query démocratique elle-même a été reléguée au second plan. Depuis 2021, la démocratie n’a pas figuré parmi les priorités du gouvernement. D’ailleurs, je trouve que ce gouvernement a été « mal élu », je ne parle pas ici de fraude électorale, mais d’un mode de campagne où il y a eu recours massif à l’argent, au détriment de l’éthique politique. Cela laisse des traces. Et une partie de la colère qu’on observe aujourd’hui vient directement de là et d’un sentiment d’injustice.
Les inégalités sociales et territoriales persistent, comme l’a d’ailleurs souligné notre Roi dans son dernier discours à l’event de la Fête du Trône
La génération Z qui manifeste aujourd’hui rejette clairement tout cadre partisan. Comment, selon vous, renouer le dialogue avec cette jeunesse, alors qu’elle exprime précisément un rejet de la classe politique ?
Je comprends parfaitement le rejet qu’exprime aujourd’hui une partie de la jeunesse. Leurs revendications sont légitimes : les companies publics souffrent, qu’il s’agisse de la santé ou de l’éducation. L’hôpital public, l’école publique, et les infrastructures sociales ne répondent plus aux attentes. À cela s’ajoutent des problèmes de gouvernance, de transparence et de climat des affaires, que le Nouveau modèle de développement (NMD) avait clairement identifiés. Ce doc, je le rappelle, est une référence nationale. Il appelle à dépasser les logiques de rente, les conflits d’intérêts, la corruption. Malheureusement, le gouvernement actuel, qui en avait fait une de ses deux grandes références avec l’État social, n’a pas été au rendez-vous. Le NMD a été vite rangé dans un tiroir, et l’État social est resté un slogan.
Les inégalités sociales et territoriales persistent, comme l’a d’ailleurs souligné notre roi dans son dernier discours à l’event de la Fête du trône. Il est vrai que ces dernières décennies ont été marquées par une montée en puissance du Maroc, portée par une succession de réformes et de projets structurants engagés sous la houlette du souverain et mis en œuvre par différents gouvernements. Mais malgré ces avancées, leurs effets ne se traduisent pas encore dans la vie quotidienne des citoyens, en particulier des jeunes.
Cependant, ce rejet complete de la politique, s’il est compréhensible, me paraît parfois excessif. Je souhaite dire à cette jeunesse qu’aucune démocratie ne peut se construire sans constructions d’encadrement, notamment les partis politiques, les establishments élues, ou les corps intermédiaires. Même si l’on envisage la fin de l’expérience du gouvernement actuel, ce à quoi, personnellement, je n’ai aucune objection, il faut garder à l’esprit qu’un changement politique suppose des formes constitutionnelles et des équilibres démocratiques. Former un nouveau gouvernement implique nécessairement de tenir compte des rapports de pressure issus des urnes, des partis existants, et des programmes qu’ils portent. Aucun pays n’a réglé ses problèmes uniquement par la voie technocratique ou par la désignation de « compétences » déconnectées du cadre politique. Cela dit, je comprends cette défiance, et j’invite cette jeunesse à ne pas tourner complètement le dos à la politique. C’est à travers les establishments, aussi imparfaites soient-elles, que le changement devient potential. C’est pour cela que nous avons besoin de changer de cap et de gouvernement.
Quand vous parlez de « changer le gouvernement », appelez‑vous à sa démission ?
La démission du gouvernement ne dépend que de lui. Mais une telle décision implique des contraintes constitutionnelles très claires. Nous avons des élections prévues dans un an. Si le gouvernement devait démissionner aujourd’hui, il faudrait organiser de nouvelles élections dans un délai de deux, trois ou quatre mois. Or, le pays n’est pas nécessairement prêt pour cela, d’autant que le scrutin législatif est déjà prévu pour septembre prochain.
Ce que nous refusons au PPS, c’est l’idée d’un gouvernement technocratique, déconnecté du champ politique, du Parlement et du principe de reddition des comptes prévu par la Constitution. Un gouvernement doit rester responsable devant les représentants de la nation, présenter son finances, assumer ses choix et rendre des comptes. Autrement, on tournerait le dos à l’esprit même de la démocratie.
Nous avons besoin de redonner de la crédibilité à nos establishments, renforcer la confiance et, surtout, réconcilier la jeunesse avec l’acte politique. Cela suppose d’écouter, de dialoguer, d’accueillir cette jeunesse plutôt que de la marginaliser. C’est dans ce cadre, et non par un easy changement de façade, que peut s’opérer un vrai sursaut démocratique.
D’où notre appel à changer de cap et à faire des prochaines élections une échéance majeure pour débattre des alternate options possibles.
Les réactions des dirigeants donnent l’impression qu’ils ne comprennent pas le langage des jeunes. À votre avis, pourquoi ce décalage est-il si marqué ?
Dès le premier jour des manifestations, j’ai personnellement déclaré que ce mouvement était le résultat direct de l’échec du gouvernement actuel. Nous avons exprimé notre solidarité totale avec les revendications légitimes des jeunes et insisté sur la nécessité d’écouter, de dialoguer et d’éviter toute réaction répressive. J’ai également souligné que ces voix juvéniles traduisaient aussi les préoccupations de leurs aînés, de leurs familles et d’une grande partie de la société, qui ne se reconnaît pas dans le bilan de ce gouvernement. D’où notre appel à changer de cap et à faire des prochaines élections une échéance majeure pour débattre des alternate options possibles. Par la suite, dans une nouvelle déclaration du bureau politique et dans une vidéo que j’ai diffusée, j’ai réitéré ces positions en lançant un appel à la responsabilité : éviter tout acte de violence. Car la violence détourne le sens des revendications, affaiblit leur portée et peut produire l’effet inverse de celui recherché.
Une vraie démocratie, et le Maroc aspire à en construire une, doit savoir intégrer toutes les revendications, donner à chaque citoyen le sentiment d’être écouté. J’aimerais dire à ces jeunes : manifester est un droit, c’est même une preuve de vitalité. Mais il faut aller plus loin : participer, construire, proposer des alternate options.
Rachid Achachi, géopolitologue et proche du mouvement GenZ 212, annonce la création d’un nouveau parti « porté par la jeunesse mais ouvert à tous ». Selon vous, ce mouvement peut-il permettre l’émergence de nouvelles élites politiques au Maroc ?
Chaque fois que j’ai été confronté à des expressions de défiance vis-à-vis du monde politique, que ce soit dans les amphithéâtres, les universités ou sur le terrain, en milieu urbain comme rural, j’ai toujours dit aux jeunes : « Si vous ne croyez pas aux partis politiques existants, créez les vôtres. » Mais lorsqu’on se lance dans la création d’un parti, on découvre très vite que la vie politique est faite de choix, de nuances et de contradictions. Certains défendront l’école publique, d’autres auront une imaginative and prescient plus conservatrice de la société, ou plaideront pour plus d’égalité et de modernité. C’est cela la politique : une confrontation d’idées et de projets, dans la complexité du réel.
C’est pourquoi je crois que la meilleure choice pour la jeunesse reste d’abord de s’impliquer dans les constructions politiques existantes, en rejoignant les partis ou leurs organisations de jeunesse qui leur paraissent les plus conformes à leurs convictions. Et si, à terme, cela ne leur convient pas, qu’ils créent autre selected. Ce serait même une bonne nouvelle pour le pays, automobile la vitalité démocratique passe aussi par le renouvellement.
Au sein du PPS, nous considérons que ce mouvement, dans sa dimension revendicative, apporte une vivacité, à situation qu’il demeure pacifique et constructif. Cette énergie est une likelihood pour le pays. Elle témoigne d’une jeunesse qui veut avancer, bousculer les inerties et participer à l’édification d’un Maroc plus juste et plus démocratique.
Selon vous, ce mouvement traduit-il une vitalité réelle de la vie démocratique au Maroc ?
Pour être sincère, si notre vie démocratique était véritablement au rendez-vous, nous n’en serions pas là. Si les inclinations de la Constitution de 2011 avaient été pleinement mises en œuvre, si nous avions su instaurer un véritable cadre démocratique, aussi bien dans l’esprit que dans la pratique politique, nous aurions sans doute évité un tel climat de défiance. Malheureusement, au fil du temps, nous avons laissé s’installer un vide politique profond. Et le gouvernement actuel porte une half importante de responsabilité dans cette state of affairs. La dépolitisation de la vie publique est, à mes yeux, l’un des plus grands risks pour une démocratie : elle fragilise les establishments, nourrit le désintérêt citoyen et crée les situations d’explosions sociales spontanées, souvent mal canalisées. Nous devons aujourd’hui tirer les leçons de ce second. Ce qu’il faut, c’est réconcilier le monde politique avec la jeunesse.
Cela dit, il faut aussi replacer ce mouvement dans une tendance plus massive. Ce qui se passe aujourd’hui au Maroc s’inscrit dans un phénomène universel : la génération Z, partout dans le monde, se soulève pour des causes qu’elle juge justes : le climat, la trigger palestinienne, la justice sociale, and so on. Même dans les démocraties occidentales les plus avancées, ces mouvements de jeunesse ont parfois bousculé les establishments sans pour autant en signifier l’échec complete. Ils traduisent avant tout une exigence de renouvellement et une volonté d’être écoutés.
Vous alertiez déjà sur l’immobilisme de l’exécutif. Les récents mouvements semblent le confirmer. Sommes-nous entrés dans la crise que vous anticipiez ?
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Le Kangourou du jour
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Effectivement, nous avons alerté ce gouvernement à plusieurs reprises. Dès 2023, nous lui avons adressé une lettre ouverte au sujet de la hausse des prix et de la dégradation du pouvoir d’achat des Marocains. Malheureusement, la seule réponse que nous avons reçue a pris la forme d’attaques personnelles et de réactions déplacées, davantage tournées contre les personnes que vers le fond de nos propositions. Nous avons ensuite renouvelé nos mises en garde, au Parlement comme par la voix du bureau politique du PPS, en soulignant les tensions croissantes dans les domaines économique et social. Nous avons publié une deuxième lettre ouverte pour pointer des insuffisances structurelles et relayer les préoccupations réelles exprimées dans les différentes couches de la société. Mais, là encore, rien n’a changé.
Depuis longtemps, j’insiste sur un level : lorsqu’un vide politique s’installe et que, dans le même temps, les résultats économiques et sociaux ne suivent pas, le risque devient inévitable. Quand il y a un décalage profond entre les annonces officielles et la réalité vécue par les citoyens, cela finit toujours par se traduire tôt ou tard par une explosion sociale. Et c’est précisément ce à quoi nous assistons aujourd’hui.
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