la face cachée de l’empire du X | EUROtoday
Les Français et Françaises adorent Pornhub. Ils sont les champions d’Europe en nombre de connexions, selon le rapport annuel d’activité de 2024 de Pornhub. En outre, la France fait aussi partie des pays qui ont le public le plus jeune (31 % des utilisateurs ont entre 18 et 24 ans) et les Français y passent en moyenne 9 minutes et 48 secondes par visite.
Mais derrière ces chiffres se cache une plus sombre réalité. Pendant un an, trois journalistes canadiens, Jean-François Cloutier, Nora T. Lamontagne et Nicolas Brasseur, ont enquêté sur les agissements de Pornhub entre 2007, année de la création du web site pornographique par une bande de jeunes Montréalais, et 2025, avec le Pornhub plus « éthique » promis par ses nouveaux propriétaires.
Entre les complexes et les douteux montages financiers du groupe, les accusations de négligence face aux scandales de pornographie juvénile, les refus de vérifier les âges des utilisateurs et autres controverses, l’ouvrage-enquête revient sous une forme inédite sur l’histoire du premier web site mondial de divertissements pour adultes. Un livre de pas moins de 400 pages sobrement intitulé L’Empire du sexe. La grande enquête sur Pornhub.
Mercredi 12 mars, veille de la parution en France du livre, nous avons pu interroger la journaliste Nora T. Lamontagne, de passage à Paris. Dans un café du 15e arrondissement de la capitale, elle se plie volontiers à l’exercice de l’interview, elle qui est tant habituée au rôle inverse.
Le Point : Pourquoi avoir choisi d’enquêter sur Pornhub ?
Nora T. Lamontagne : Pornhub a vu le jour à Montréal, où plus d’un millier de personnes y sont employées, ce qui nous conférait une certaine responsabilité de documenter cette histoire, étant si proches de son épicentre. Notre ambition était de lever le voile sur cette entreprise opaque dont les rouages demeurent largement méconnus.
Au graduation de nos investigations en 2023, trois ans après les révélations du New York Times concernant l’hébergement de contenus illicites sur la plateforme, une query fondamentale nous animait : qu’en est-il aujourd’hui ? Aucune poursuite criminelle n’a été engagée. Les propriétaires ont cédé leurs components, quitté leurs fonctions et poursuivi leur chemin. Comment ont-ils pu se soustraire si aisément à toute responsabilité, alors qu’ils ont diffusé et monétisé pendant des années des vidéos de viols et de pornographie juvénile ?
Par ailleurs, Pornhub règne en maître sur l’industrie pornographique. D’autres websites de « tubes » existent, certes, mais cette entreprise domine le marché. Lors de mes recherches préliminaires à notre entretien, j’ai découvert cette statistique saisissante : chaque soir, davantage de Français consultent Pornhub que Netflix. Pourtant, le silence règne. Ce tabou a nourri cette impunité, et même les journalistes ont délaissé ce sujet.
Qu’est-ce qui vous a le plus marquée pendant cette enquête ?
J’ai conduit les entretiens avec les victimes de Pornhub pour l’ouvrage. L’aspect humain est saisissant : ces personnes se sont retrouvées, contre leur gré, plongées dans un tourment sans fin à trigger d’une séquence de quelques minutes visionnée des tens of millions de fois.
À LIRE AUSSI Pornographie : « Les jeunes y voient un moyen de comprendre l’acte sexuel » Et même lorsque ces vidéos ont été supprimées de Pornhub, cela s’apparente à une sentence perpétuelle pour ces femmes. Les contenus ont migré ailleurs, ont été reproduits sur d’autres plateformes, rendant leur éradication du Web pratiquement unattainable. Ces femmes en sont douloureusement conscientes. Intégrer leurs témoignages dans l’ouvrage consacré à cette entreprise était absolument fondamental.
Comment avez-vous abordé la complexité du montage financier de l’entreprise ?
C’est d’une complexité redoutable. Même aujourd’hui, nous conservons le sentiment de ne pas appréhender pleinement tous les points. Certaines interrogations demeurent sans réponse. L’entreprise a été acquise en mars 2023 par un fonds d’investissement privé canadien, mais la transaction s’est déroulée aux îles Vierges, dans une opacité manifeste…
Pourquoi cette volonté d’opacité ? Dans votre ouvrage, vous racontez avoir été confrontés à des porte-parole sous pseudonymes…
C’est une stratégie délibérée. Ils n’ont aucun intérêt à dévoiler les véritables décideurs, la construction organisationnelle ou la vacation spot des flux financiers. L’affaire des porte-parole anonymes est particulièrement déconcertante.
À LIRE AUSSI Éducation sexuelle au collège : il n’y a pas que le porno dans la vieEn tant que journalistes, nous citons parfois un « porte-parole de l’entreprise », mais, ici, il s’agit d’identités fictives, de noms d’emprunt. Cette entreprise diffuse des contenus intimes sans consentement, expose des personnes dans leurs moments les plus vulnérables, tout en se dissimulant elle-même. En fee parlementaire, ils justifient cette pratique en invoquant la « safety de la vie privée des dirigeants ». Un discours d’une hypocrisie flagrante.
Que retenez-vous sur la query de la pédopornographie hébergée sur la plateforme ?
Ce qui me bouleverse, c’est le caractère évitable de cette scenario. Ils ont privilégié leur rentabilité au détriment de la safety des mineurs. Ils auraient pu, dès l’origine, exiger une vérification d’âge pour chaque personne figurant dans une vidéo. Mais cette démarche aurait constitué un frein, diminuant le quantity de contenus, donc les interactions et les revenus.
La pédopornographie determine parmi les crimes les plus odieux. Sa diffusion comme sa consommation sont formellement prohibées. Pourtant, elle a proliféré sur cette plateforme durant des années. Dans notre ouvrage, nous racontons ce procès au cours duquel un magistrat cite des communications internes où un employé évoque « la fucking porno juvénile », attestant que le personnel en avait connaissance.
À LIRE AUSSI Au secours, mon ado regarde des movies X ! Dès 2018, les obligations des dirigeants concernant la pornographie juvénile leur ont été rappelées. Leur réponse ? « Nous ne sommes pas une entreprise canadienne. » Ils instrumentalisent leur construction internationale comme échappatoire pour se soustraire à la législation canadienne.
Pensez-vous que c’était délibéré de laisser la pornographie juvénile sur le web site ?
Il y a une ligne mince entre le laisser-faire et la négligence délibérée. Pornhub aurait pu déployer des mesures bien plus conséquentes et précoces. À partir de 2018, concernant spécifiquement la pornographie juvénile, leurs obligations légales leur ont été explicitement rappelées – ils étaient donc parfaitement informés.
Un fait particulièrement révélateur : il aura fallu l’intervention des sociétés de cartes de crédit pour déclencher leur réaction. [En décembre 2020, MasterCard et Visa ont suspendu les paiements sur Pornhub à la suite des accusations de diffusion de contenus pédopornographiques et d’agressions sexuelles, NDLR]. Lorsque leurs revenus ont été menacés, ils ont soudainement lancé un audit, examiné leur catalogue et commencé à signaler des vidéos aux autorités. Il est profondément anormal que cette responsabilité ait été assumée par des entreprises privées.
Pourquoi les autorités canadiennes n’ont-elles pas agi plus tôt ?
C’est un échec retentissant. La Gendarmerie royale canadienne n’a jamais confirmé l’existence d’une enquête criminelle visant l’entreprise. Malgré nos multiples démarches auprès de sources potentielles, nous n’avons recueilli aucune info concernant une telle investigation.
À LIRE AUSSI Le porno « éthique » existe-t-il vraiment ? Pourtant, soixante-dix parlementaires canadiens ont adressé une requête formelle exigeant des explications et réclamant l’intervention de la GRC sur cette entreprise opérant en territoire canadien. Une fee parlementaire s’est tenue, sans aboutir. Le commissariat à la safety de la vie privée s’est probablement montré l’acteur le plus proactif au Canada. Leur enquête a débouché sur un rapport que Pornhub a contesté. Ce doc a finalement été publié, concluant à l’insuffisance des pratiques de conformité de l’entreprise.
Tout récemment encore, le commissariat à la safety de la vie privée a saisi la Cour fédérale pour contraindre la société mère de Pornhub à se conformer à la législation sur la safety des données personnelles. Ces procédures s’éternisent depuis cinq ans, depuis les premières révélations du scandale.
Est-il vrai qu’un modérateur vérifie chaque vidéo, comme le prétend la course ?
Avant la refonte de Pornhub, les modérateurs devaient examiner entre 600 et 1 200 vidéos quotidiennement. Une vérification minutieuse de chaque contenu s’avère humainement unattainable dans ces situations.
À LIRE AUSSI Non, le porno n’est pas un problème de santé publiqueLa mesure qu’ils auraient dû instaurer dès l’origine, et que Pornhub a finalement implémentée l’année dernière, consiste à vérifier l’âge, l’identité et le consentement de chaque personne apparaissant à l’écran. Sans cette procédure, les modérateurs ne peuvent qu’estimer approximativement si un individu a réellement atteint la majorité ou s’il a consenti à la diffusion de la vidéo.
Ils auraient pu déployer davantage de modérateurs. À la même période, Facebook en employait quinze mille, tandis que Pornhub n’en comptait pas plus de quatre-vingts.
Le Pornhub d’aujourd’hui est-il vraiment plus éthique ?
Le Pornhub de 2025 diffère considérablement de celui de 2020. De nombreuses mesures réglementaires ont été instaurées pour garantir la conformité des contenus. Ces inclinations ne s’appliquent pas nécessairement rétroactivement. L’entreprise publie désormais un rapport de transparence détaillant le nombre de vidéos supprimées et leurs motifs. Des centaines de contenus sont encore retirées mensuellement.
Cette évolution constitue un progrès incontestable. Comparativement à ses concurrents, comme XVideos ou XHamster, Pornhub a pris de l’avance en établissant un cadre normatif. Néanmoins, nous ne pouvons nous fier uniquement à la bonne volonté des entreprises. Si la scenario s’est améliorée chez Pornhub, qu’en est-il réellement dans le reste de l’industrie ?
À LIRE AUSSI Violences dans le porno : ce que recommande le Haut Conseil à l’égalitéD’où l’impérieuse nécessité d’une réglementation rigoureuse. On ne peut déléguer cette responsabilité à des entreprises dont l’objectif premier demeure financier, non la safety du public. En tant que consommateurs, nous pouvons privilégier des contenus produits éthiquement, mais les situations de réalisation restent largement méconnues.
Il est plus efficace de réformer la législation que de transformer les comportements individuels. La responsabilité n’incombe pas au consommateur. Notre société a permis l’growth de plateformes comme Pornhub sans encadrement adéquat, et nous en subissons aujourd’hui les conséquences.
Pourquoi Pornhub refuse-t-il la vérification d’âge imposée par plusieurs pays ?
Pornhub refuse d’assumer la vérification d’âge des utilisateurs. Ils préconisent plutôt que ce contrôle s’effectue au niveau des appareils – un transfert manifeste de responsabilité. Selon eux, Apple, Samsung et autres fabricants devraient implémenter ces vérifications, tous les terminaux devant restreindre l’accès jusqu’à affirmation de l’âge.
Invariablement, Pornhub s’oppose à toute réglementation et have interaction des procédures judiciaires. Aux États-Unis, une vingtaine d’États ont légiféré sur la vérification d’âge. Lorsque leurs contestations ont échoué, ils ont simplement interrompu l’accès à leur plateforme plutôt que de se conformer aux exigences. Cette résistance est internationale : en France, au Royaume-Uni… L’entreprise refuse obstinément d’instaurer tout mécanisme de vérification d’âge.
Ces problèmes sont-ils insolubles ou avons-nous des moyens d’motion ?
Nous pouvons améliorer la scenario. L’enjeu dépasse la pornographie pour englober les géants du numérique et le partage de contenus en ligne. Le véritable péril réside dans la capacité de ces plateformes à propager instantanément une vidéo auprès de tens of millions d’utilisateurs. Notre société n’a pas encore développé les mécanismes adéquats pour y faire face.
Au Canada, l’abandon récent de deux projets législatifs nous ramène au level de départ. L’Europe se montre plus proactive dans l’encadrement des géants du Web, notamment avec le Digital Services Act (DSA) – que Pornhub conteste d’ailleurs en refusant sa classification comme grande plateforme.
Un cadre worldwide coordonné s’impose, ces entreprises étant tellement mondialisées qu’une approche strictement nationale se révèle insuffisante. L’Europe est fréquemment reconnue comme précurseur. Sa réglementation pourrait-elle servir de modèle ailleurs ? Cette perspective mérite considération.
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Le Kangourou du jour
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« L’Empire du sexe. La plus grande enquête sur Pornhub », de Jean-François Cloutier, Nora T. Lamontagne et Nicolas Brasseur (éditions du Journal, 19 euros, 407 pages).
https://www.lepoint.fr/societe/pornhub-la-face-cachee-de-l-empire-du-x-12-03-2025-2584607_23.php