Arthur Chevallier – Brésil : un coup d’État dans l’eau

Arthur Chevallier – Brésil : un coup d’État dans l’eau

« Il est plus facile de légaliser certaines choses que de les légitimer », écrivait Chamfort. La récente tentative de coup d’État au Brésil démontre une fois encore la nullité du procédé. Envahir un parlement, une cour de justice ou un palais présidentiel ne sert positivement à rien, y compris dans le domaine du banditisme. Rendus à l’intérieur, les putschistes bombent le torse, cassent les chaises, défèquent dans les bureaux : voilà le résumé de leur triomphe. L’assaut du Capitole du 6 janvier 2021 par les partisans de Donald Trump avait produit les mêmes effets. La technique du coup d’État, pour reprendre le titre d’un célèbre livre de Malaparte, est-elle obsolète ?

Occuper les lieux de pouvoir a longtemps suffi. Le 18 brumaire (8 et 9 novembre 1799), Napoléon, avec la complicité de près de la moitié du gouvernement du Directoire, essayait d’opérer une transition constitutionnelle grâce à un vote des deux assemblées, le Conseil des Cinq-Cents et le Conseil des Anciens. L’affaire tourne mal. Il ordonne à l’armée d’intervenir et parvient à ses fins, soit le Consulat.

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Sans entrer dans les détails, admettons qu’il s’agit là du « modèle » du coup d’État moderne, en fait un contre-modèle de la révolution populaire, à l’image de celle de 1789. Autrement dit : un minimum de complices, aux bons endroits et au bon moment. Lénine s’en inspirera. La rationalisation du fonctionnement de l’État et, dans son sillage, l’avènement des parlements au XIXe siècle favorisent cette méthode dans la mesure où il est plus difficile de contraindre des centaines de députés que de guillotiner un seul roi ; et voilà comment la division des pouvoirs protège le pouvoir.

Un modèle qui ne fait plus recette

Dans un article aussi brillant qu’inattendu publié dans Le Grand continent (« Le 6 février de Donald Trump »), l’historien Baptiste Roger-Lacan s’était livré à une comparaison entre l’invasion du Capitole et la manifestation du 6 février 1934 à Paris, où près de 50 000 personnes mobilisées par des ligues d’extrême droite, avaient convergé vers la Concorde afin d’exercer une pression sur l’Assemblée nationale, voire de marcher dessus, le jour du vote de confiance au gouvernement d’Édouard Daladier.

Nous connaissons la fin : après de multiples affrontements, La Rocque, leader des Croix de feu, une des principales organisations séditieuses, se refuse à attaquer l’Assemblée. Les interprétations de ce qui pourrait apparaître comme un renoncement diffèrent selon les historiens. Certains pensent que La Rocque n’était pas un authentique putschiste, son intention n’était pas de renverser la République. D’autres, au contraire, considèrent que cette apparente veulerie est le fruit d’une stratégie, celle de la « tension ».

Tout ça pour ça

Un coup d’État, pour quoi faire ? À Washington comme à Brasilia, les cordons de sécurité ont sauté, visiblement avec la complaisance de la police au Brésil, les factieux se sont rendus maîtres des lieux de pouvoir, y compris des bureaux des présidents des assemblées. Les danses de la joie, les hurlements de triomphe, le déversement de haine presque animale passés, ces groupuscules constitués d’imbéciles ont compris qu’ils étaient rendus à l’état de mulots dans une souricière. Tout le monde a été arrêté, Trump a perdu, et Lula a repris la main.

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La conclusion de cette épopée barbare est évidente : ça n’a servi à rien. Dans un cas comme dans l’autre, la stratégie de la « pression », pour reprendre les mots de Baptiste Roger-Lacan, paraît être la seule explication à ces pantalonnades tragiques. Autrement dit, cela revient, pour les leaders populistes, à susciter la colère, à stimuler la brutalité, quitte à prendre le risque d’un échec aux conséquences graves. Le coup d’État se pensait hors du cadre légal, mais au nom d’une légitimité populaire, bien évidemment fantasmée. Désormais, il s’apparente à une rupture formelle avec cette dernière. Ultra-minoritaires, dispersés, sans le moindre représentant crédible, les harangueurs agissent pour et au nom d’une barbarie médiévale. Le chaos est leur moyen, le nihilisme leur projet. Tout se perd, même les putschs.

Références livres et articles :

Sous la direction de Zeev Sternhell, L’Histoire refoulée, La Rocque, les Croix de feu et le fascisme français, Paris, Cerf, 2019.

Baptiste Roger-Lacan, « Le 6 février de Donald Trump », Le Grand continent, janvier 2021.

Source: lepoint.fr