Le comptage « indépendant » du cabinet, filiale de l’Ifop, était largement inférieur à celui des syndicats et même de la police le 31 janvier.
Par Thibaut Déléaz
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À peine 55 000 manifestants. C’est le décompte du cabinet Occurrence, missionné par les médias pour jauger le succès de la manifestation parisienne du 31 janvier contre la réforme des retraites. C’est dix fois moins que ce que revendiquent les syndicats (500 000), et moins que la police (87 000) avec qui ils sont pourtant souvent raccord. Critiqué sur sa méthodologie, raillé sur les réseaux sociaux, y compris par Jean-Luc Mélenchon, le cabinet, filiale de l’Ifop, défend son comptage, effectué à l’aide d’une intelligence artificielle.
Le procédé est toujours le même, assure Assaël Adary, directeur général et cofondateur d’Occurrence : une équipe se place dans une chambre d’hôtel donnant sur le parcours de la manifestation. Ils y installent caméras et capteurs, tracent une ligne virtuelle coupant le boulevard, de mur à mur, trottoirs compris, et comptent chaque manifestant qui passe cette ligne. Mardi, ils étaient à l’angle des boulevards Raspail et Montparnasse, à mi-chemin sur le parcours.
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Redressement manuel
Le cabinet utilise la technologie éprouvée de l’entreprise Eurecam, spécialisée dans le comptage de foules. Elle « sait détourer un être humain, par contraste avec le sol », précise Assaël Adary. Ce qui amène une première cause d’erreur : l’intelligence artificielle détecte mal les individus dans les moments où la foule est dense et compacte. Occurrence affirme procéder à des recomptages manuels, image par image, sur des tranches de 30 secondes, pour corriger ces données. « La technologie a ses limites, ce qui importe, c’est d’avoir mis en place une méthode pour les corriger. »
Autre point soulevé par les critiques : qu’advient-il des personnes passant la ligne virtuelle dans le sens inverse ? Ils sont comptés à part, mais ne sont ni ajoutés, ni soustraits au nombre de manifestants. « On n’a encore jamais utilisé ce chiffre », assure le directeur général, pas même pour corriger les allers-retours. Ainsi, concède-t-il, « quelqu’un qui passe trois fois la ligne sera compté trois fois, parce qu’on ne reconnaît pas les gens ». Policiers en civil, journalistes, badauds, toute personne qui passe la ligne est comptée comme manifestant.
Des vieilles images de BFMTV, qui filmait la méthode de comptage lors d’une manifestation, sont largement relayées sur les réseaux sociaux et interrogent. On y voit une foule dense passant la ligne virtuelle, mais beaucoup de flèches rouges, comme si le logiciel détectait plutôt des personnes avançant à rebours. Un simple affichage loin de ce qui se passe sous le capot, assure Assaël Adary, « car on voit bien à côté que le compteur s’emballe bien plus vite qu’on ne voit de flèches vertes à l’écran ».
« Prouvez-nous qu’on a tort ! »
Dernier écueil, le positionnement. Le cabinet Occurrence ne se base que sur un seul point de comptage, ce qui ne permet pas de prendre en compte les manifestants, qui seraient partis ou arrivés en cours de route. « C’est une vraie question : on a toujours considéré que manifester, c’était faire le parcours en entier, mais il faut peut-être revoir la définition. D’une manière générale, on essaie toujours de se placer le plus haut possible sur le parcours, mais il faut trouver un hôtel au bon endroit. » Aucun chiffre n’a d’ailleurs été communiqué pour la manifestation du 19 janvier, car le parcours avait été dédoublé face à l’affluence, et qu’Occurrence n’avait positionné aucune équipe sur le parcours de délestage.
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Assaël Adary assure que le système a été validé par plusieurs médias début 2018. Une manifestation a alors été intégralement filmée et recomptée plusieurs fois à la main. « L’écart par rapport à notre comptage était de 8 %. » Le cofondateur invite ses détracteurs à regarder une vidéo du cortège de la manifestation du 21 janvier à Paris, et à recompter à la main pour vérifier son chiffre (14 000) : « Prouvez-nous qu’on a tort ! »
Et de rappeler que la démarche d’origine du cabinet était d’offrir un chiffre « qui n’appartienne à personne, ni aux organisateurs, ni au ministère de l’Intérieur », et qui ne fasse donc pas l’objet de manipulation politique. D’où sa volonté de transparence. « À chaque fois, on invite les organisateurs à venir compter avec nous, voir comment on construit ce chiffre. Ils ne sont jamais venus. »
Source: lepoint.fr