Spécialiste des migrations, Hervé Le Bras est démographe, chercheur émérite à l’Institut national d’études démographiques (INED) et historien à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Selon lui, l’évolution démographique et les différentes hypothèses formulées dans le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) démontrent que l’équilibre du système n’est pas en péril, contrairement à ce qu’affirme le gouvernement.
Vous avez donné, mercredi 1er février, un séminaire à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) sur la réforme des retraites. Vous jugez que les projections démographiques retenues par le gouvernement pour justifier la réforme ne sont pas solides, pourquoi ?
Dans sa récente intervention, Elisabeth Borne a insisté à nouveau sur l’urgence de la réforme des retraites en raison d’une grave menace de déficit sur l’équilibre du système. Pour la justifier, le gouvernement s’appuie sur le rapport du COR, rapport administratif, et non pas scientifique. Ce document privilégie des scénarios irréalistes en matière de mortalité. Il reprend les dernières projections de baisse moyenne et forte calculées par l’Insee, sans rien dire de la projection de baisse faible. Or l’évolution récente plaide en faveur d’une faible augmentation de l’espérance de vie.
Dès la première année (2022), l’espérance de vie retenue pas le COR est supérieure de 8 mois dans l’hypothèse moyenne, et d’un an et demi dans l’hypothèse haute, à ce qui a été réellement observé (données démographiques publiées par l’Insee en janvier 2023). L’écart ne devrait que s’accroître entre les scénarios retenus par le COR et la réalité car dans la plupart des pays développés, on observe une décélération, voire un début de baisse de l’espérance de vie, même avant la pandémie.
D’autre part, la crise de l’hôpital n’augure rien de bon en matière de lutte à venir contre la mortalité. La projection la plus basse de l’Insee, ignorée par le COR, paraît donc la plus vraisemblable et dans ce cas, le déficit déjà modeste en 2027 (12 milliards d’euros) serait pratiquement résorbé pour la bonne raison que moins de progrès de l’espérance de vie se traduit par moins de personnes âgées.
Les prévisions démographiques ne sont-elles pas, par nature, assez certaines ?
On entend souvent dire que la démographie est le domaine qui se prête le mieux à la prévision. Ce n’est pas le cas. Non seulement il arrive des évènements exceptionnels, une crise économique, une pandémie, mais des mutations du comportement imprévues et souvent mal expliquées se produisent aussi. Ainsi, en 1979, l’Insee projetait une espérance de vie en 2020 de 70 ans pour les hommes, puis, en 1986, de 74 ans, alors qu’elle a atteint 79 ans en réalité.
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