Ils avaient prévu leur coup. Dès l’annonce par TotalEnergies de profits records (20,5 milliards de dollars en 2022), une poignée de jeunes activistes a fondu mercredi matin sur le siège de l’entreprise, à la Défense. Ils ont aspergé la façade de peinture rouge, et le sol d’un liquide brunâtre mal identifié. Pour bien faire passer le message, l’un d’entre eux, Gabriel Mazzolini, porte-parole des Amis de la terre et activiste écologiste de l’association Alternatiba, a harangué la petite foule un rien étonnée : « Total, c’est une entreprise qui se peint en vert. Aujourd’hui, on la peint en rouge et en noir, donc la couleur des victimes du changement climatique et la couleur des énergies fossiles qui font ces profits. » Les agents de sécurité ont laissé faire, un peu éberlués.
Que reprochent ces militants à TotalEnergies ? Comment expliquer le tombereau de critiques qui s’abat sur la major française, l’une des cinq plus grosses compagnies pétrolières au monde ? C’est simple : elle gagnerait de l’argent en se salissant les mains, et en polluant. Déjà, l’an dernier, les élus de gauche sont tombés sur l’entreprise et son patron, le revêche Patrick Pouyanné. La cible est alors facile : les Français se serrent la ceinture pour remplir leur réservoir, mais TotalEnergies gonfle ses caisses grâce à l’envolée du prix de l’essence.
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Même le Parlement européen y est allé de sa mise en garde en septembre dernier. Après le voyage de quatre eurodéputés, dont Pierre Larrouturou, proche du PS, l’instance vote une résolution pour dire sa « préoccupation » à l’égard de deux méga-projets en Afrique, dont l’un vise à édifier un oléoduc entre l’Ouganda et la Tanzanie. Patrick Pouyanné a beau jurer que ce projet est peu polluant et « créateur de valeur » pour ces deux pays pas très riches, les opposants n’en démordent pas. D’autres lui reprochent aussi, pêle-mêle, sa présence réaffirmée en Sibérie malgré l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ou encore des pratiques commerciales douteuses pour placer des contrats d’électricité, sanctionnées par l’Autorité de la concurrence.
TotalEnergies est l’entreprise qu’on aime détester. La France n’est sans doute pas une exception. Aux États-Unis, pays où le pétrole est roi et chéri, le président Joe Biden a critiqué les profits des majors américaines. Mais c’était exceptionnel, et lié à la conjoncture. En France, le « Total bashing » est quasi permanent. Certes, Pouyanné semble donner le bâton pour se faire battre. Il refuse de stopper les projets pétroliers et gaziers et assure que le monde en a encore besoin. D’ailleurs, dit-il, la fin précipitée du brut frapperait d’abord les consommateurs : le prix du baril s’envolerait, entraînant celui du litre d’essence et de fioul. Il a toutefois levé le pied sur le pétrole : la major a investi 12 milliards dans ces projets en 2022, mais « seulement » 5 milliards en 2023.
La manne du pétrole (45,5 % des profits) va pourtant aider la planète, et la France en particulier. Les profits réalisés avec l’or noir servent ainsi à financer les projets éoliens et solaires : TotalEnergies a installé l’an dernier 17 gigawatts d’installations, contre 16 prévus. La major prévoit d’investir 4 milliards de dollars dans les « énergies décarbonées » en 2023, contre 3 milliards l’an dernier. Elle dispose ainsi de 70 GW dans son portefeuille de projets, l’équivalent d’une soixantaine de réacteurs nucléaires.
Les « superprofits » de l’entreprise profitent aussi à ses salariés (elle en emploie quelque 105 000 dans le monde). TotalEnergies a décidé de leur allouer une prime de 3 800 euros en moyenne, doublée d’une augmentation de l’enveloppe des salaires de 7,5 %. Il y a fort à parier que l’économie française en profite, sauf si les salariés français ne font que dépenser leur argent à l’étranger. Les actionnaires verront aussi leurs dividendes augmenter (une hausse de 7 % de l’acompte). Une manière de récompenser leur prise de risque : en 2020, l’entreprise avait perdu 7,2 milliards de dollars.
Deux milliards d’euros de taxes et cotisations sociales
Les opposants de TotalEnergies vont perdre l’un de leurs arguments principaux : celui selon lequel la major ne paie pas d’impôts en France. C’était vrai ces cinq dernières années, puisque ses activités dans l’Hexagone (raffinage, distribution, etc.) ne lui rapportaient pas d’argent. En 2022, grâce à l’envolée des prix de l’essence, TotalEnergies a réalisé un bénéfice de 900 millions d’euros. Elle a soustrait de cette somme 550 millions, le montant total des ristournes accordées aux automobilistes sur le prix du litre. La major paiera donc un impôt sur le montant restant, soit une facture de 200 millions d’euros, plus les habituelles taxes et cotisations sociales (deux milliards d’euros). La somme est évidemment dérisoire par rapport aux impôts payés dans le monde entier (30,75 milliards d’euros), mais elle rentrera bel et bien dans les caisses de l’État.
Si TotalEnergies avait gagné un peu moins d’argent, les jeunes militants écolos auraient-ils évité d’asperger de rouge la façade du siège ? Patrick Pouyanné, en tout cas, aurait presque aimé. Au Figaro, il a confié cette phrase étonnante, et sans doute un rien exagérée : « Je préférerais que TotalEnergies gagne 10 milliards de moins et que tout le monde soit un peu plus raisonnable sur le sujet. »
Source: lepoint.fr