Analyse. Le 13 avril 2020, alors que la France vit son premier confinement, le président de la République braque soudain les projecteurs sur une catégorie de la population jusqu’ici invisible : ceux qu’il nomme, dans un discours télévisé, les travailleurs « de la deuxième ligne ». « Il nous faudra nous rappeler aussi que notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal, déclare-t-il. “Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.” Ces mots, les Français les ont écrits il y a plus de deux cents ans. Nous devons aujourd’hui reprendre le flambeau et donner toute sa force à ce principe. »
Dans ce but, à la fin 2020, le gouvernement confie à Christine Erhel, directrice du centre d’études de l’emploi et du travail du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), et Sophie Moreau-Follenfant, ex-DRH chez Derichebourg, aujourd’hui au directoire de RTE, une mission « pour la revalorisation des métiers de la deuxième ligne ». Elles remettent leur rapport un an plus tard à la ministre du travail d’alors, Elisabeth Borne. La même qui, devenue première ministre, a présenté la réforme des retraites, le 10 janvier.
Que disait ce rapport ? Identifiant dix-sept « métiers de la continuité économique et sociale », il dénombrait 4,6 millions de travailleurs de la deuxième ligne dans le secteur privé (aides à domicile, agents d’entretien, manutentionnaires, ouvriers du BTP, de l’agroalimentaire, salariés de la grande distribution, du déchet…). Leurs salaires sont 30 % inférieurs à ceux du reste des travailleurs, leurs contrats sont plus précaires, leurs perspectives d’évolution plus limitées, ils sont plus souvent à temps partiel. Ce qui induit des cotisations faibles, donc des pensions modiques, et des départs à la retraite tardifs, ou avec décote.
« Aucun suivi de la mission »
Le rapport posait également la question de « la soutenabilité dans le temps » de ces métiers qui, malgré de rudes conditions de travail, ne sont que très peu concernés par le compte prévention de la pénibilité, dont les critères ont été définis pour l’industrie et non pour les métiers de service. Pas de points pénibilité pour les aides à domicile, les éboueurs ou les employés de la grande distribution, sauf s’ils font beaucoup d’heures de nuit.
Plusieurs mesures étaient suggérées : un compte épargne-temps pour alléger la fin de carrière, des négociations sur la pénibilité, des reconversions plus précoces, avant l’usure des corps. Il évoquait aussi des leviers pour inciter les branches professionnelles à revaloriser les salaires, l’Etat n’ayant sur ce point pas directement la main.
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