Réfugié en France depuis deux mois, cet entrepreneur franco-gabonais de 42 ans est une des figures de la lutte contre la pollution au Gabon. À la tête d’une société de production audiovisuelle connue dans le pays, il documente depuis trois ans les dépôts de pétrole dans les rivières et la mangrove autour des plateformes du groupe franco-britannique Perenco. Numéro deux du pétrole en France détenu par le milliardaire François Perrodo, Perenco est devenu le principal exploitant de l’or noir gabonais en rachetant les puits vieillissants de Total dans les années 2010. Autour de ses forages, les riverains et les pêcheurs constatent des fuites à répétition, mais craignent les représailles du pouvoir, dans un pays où l’extraction du pétrole représente 60 % des recettes budgétaires. Bernard Christian Rekoula est leur porte-voix sur les réseaux sociaux.
Le 28 avril 2022, son drone survole les installations de Perenco de Cap Lopez, près de la capitale économique de Port-Gentil. À 50 mètres des côtes, une cuve contenant 300 000 barils vient de céder. Pris en flagrant délit de pollution massive, Perenco assure maîtriser la situation et réussir à contenir les déversements d’hydrocarbures dans ses bacs de rétention. Les images de Rekoula, reprises par France 24, prouvent le contraire. C’en est trop pour les autorités gabonaises qui multiplient intimidations et assignations en justice contre le réalisateur. Le 11 décembre dernier, craignant pour sa vie, il raconte pour la première fois au Point comment il a dû fuir clandestinement le Gabon.
À la veille de l’organisation du One Forest Summit à Libreville, du 1er au 2 mars, le défenseur de l’environnement met en garde Emmanuel Macron, qui coanimera ce sommet. Malgré les efforts pour préserver les forêts qui couvrent 90 % du Gabon, près de 100 000 hectares ont été détruits ces vingt dernières années, selon Global Forest Watch. « Venir au Gabon sera interprété comme une volonté d’adouber Ali Bongo et son opération de greenwashing », avertit le défenseur de l’environnement. Avec des opposants, il appelle à la grève et une journée ville morte pendant le sommet.
Le Point Afrique : Le Gabon possède la deuxième plus grande forêt du monde, à tel point qu’elle absorbe plus de CO2 que la totalité des émissions du pays. Ce trésor est-il bien protégé ?
Bernard Christian Rekoula : Le pays se dit très engagé dans la préservation des forêts mais c’est faux. De grands projets industriels et la culture d’huile de palme sur des milliers d’hectares ravagent les bois. La société singapourienne Olam est une des principales responsables de ce déboisement.
Des arbres centenaires, très prisés pour leurs essences rares, comme le kévazingo, sont arrachés et exportés. Or ses arbres produisent des fruits très recherchés par les éléphants, qui, faute de nourriture, vont se servir dans les villages et les plantations environnantes. Des champs sont ravagés en une nuit alors qu’ils ont nécessité plusieurs mois de labeur. Au-delà du drame environnemental, la déforestation menace la vie des populations.
Pourtant la famille Bongo, qui dirige le Gabon depuis plus de 50 ans, se présente comme « écolo » convaincue depuis le début des années 2000. Au-delà des forêts, quel est son bilan en matière de protection de la nature ?
Non seulement l’État gabonais ne fait rien pour la sauvegarde de la nature, mais en plus il étouffe les pollutions qui se produisent. La catastrophe de Cap Lopez en 2022 est la plus grave jamais répertoriée au Gabon. Je l’ai découverte, car j’étais à Port-Gentil au même moment et j’ai pu me fondre dans la population pour me rendre sur place. Toute la région sentait le gaz et les hydrocarbures sur un rayon de 20 kilomètres. Mais les autorités ont voulu faire croire que la citerne incriminée n’était pas en service, puis ils ont minimisé l’ampleur de la fuite. Au même moment, un forage de Perenco a cédé dans une forêt à 100 kilomètres, et le pétrole s’est déversé dans la rivière. L’impact de cette autre marée noire n’a jamais été évalué.
Le Gabon est engagé dans une course effrénée aux énergies fossiles. Il multiplie les permis d’exploration, avec des méthodes très controversées, voire interdites ailleurs, comme la fracturation. Des cours d’eau ont disparu à cause de l’extraction de manganèse. Des milliers de Gabonaises et de Gabonais se nourrissent avec du poisson contaminé et boivent de l’eau polluée.
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Comment les autorités gabonaises réagissent à vos dénonciations ?
Au départ, elles les ont ignorées. J’ai été traité de menteur dans les journaux. Désormais, je me filme systématiquement en direct sur Facebook quand je documente une catastrophe écologique pour prouver que je n’invente rien. J’ai constitué un réseau de près de 200 lanceurs d’alerte qui sont des habitants mais aussi des personnes travaillant dans les collectivités locales. Mais, de plus en plus, l’État nous empêche de faire notre travail d’information. Depuis trois ans, nous réclamons une étude sur les dégâts causés par Perenco sur la faune et la flore, la justice nous a donné raison mais rien ne se passe. [Perenco est poursuivi pour pollution de l’environnement depuis 2021 et la Cour de cassation a rejeté son dernier recours en mars 2022, NDLR]
Au printemps dernier, après la catastrophe de Cap Lopez, j’ai reçu des menaces de mort sur les réseaux sociaux, contre ma famille et mes enfants. Un commando des forces de sécurité a saccagé ma résidence en mon absence. J’ai tenté de demander de l’aide à l’ambassade de France, sans succès malgré ma nationalité française. Comme des sources m’avaient prévenu que je risquais d’être kidnappé, je me suis caché pendant un mois à travers le pays. Un jour, je me suis glissé dans un corbillard et ai réussi à m’enfuir dans un pays frontalier.
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En se rendant au Gabon, quel signal Emmanuel Macron envoie-t-il à la population et aux défenseurs de l’environnement ?
Cette visite est une grande supercherie qui avalise le greenwashing du pouvoir. Avec les autres associations de la société civile, nous lui demandons de ne pas se rendre au Gabon. Il y a un ras-le-bol de la population contre la famille Bongo au pouvoir depuis 55 ans. Venir à Libreville, c’est adouber Ali Bongo, comme Nicolas Sarkozy l’avait fait avec son père, Omar Bongo. Sa visite risque de provoquer un sentiment anti-France, alors que son image est déjà bien écornée par les années de collusion avec le régime répressif. Hier, des entreprises françaises exploitaient l’uranium, aujourd’hui elles polluent les cours d’eau. La colère est palpable.
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Source: lepoint.fr