« Les interpellations préventives, ça n’existe pas », a affirmé jeudi 23 mars le préfet de police de Paris Laurent Nunez en réponse aux avocats, magistrats et responsables politiques qui dénoncent des « gardes à vue arbitraires » lors des manifestations contre la réforme des retraites. Alors qu’un nouveau cortège intersyndical est prévu dans l’après-midi dans la capitale, M. Nunez a fait valoir que les huit précédentes manifestations s’étaient « bien passées ». Les forces de l’ordre étaient « à distance » tout en ayant « une grande réactivité » face aux « éléments radicaux », a-t-il détaillé, « pour contenir et réprimer les exactions, nous sommes très déterminés ».
Interrogé sur les « cortèges sauvages » non déclarés qui, chaque soir, depuis une semaine parcourent les rues de Paris en brûlant des poubelles ou du mobilier urbain, le préfet les a qualifiés de « phénomène de violences urbaines ». Il a justifié les interpellations réalisées lors de ces rassemblements en évoquant « des groupements en vue de commettre des violences » : « Les interpellations préventives, ça n’existe pas. Nous continuerons à interpeller ».
Le préfet de police a également affirmé que si des « gestes » sont reprochés à des policiers, il demandait à chaque fois « un rapport ». « A minima, il y a une enquête administrative et l’IGPN [police des polices] » peut intervenir « en judiciaire ». « Quand il y a des gestes extrêmement limites, la police doit rendre des comptes », a-t-il assuré.
Des « dossiers irréguliers », « vides en termes de preuve de culpabilité »
Dans leur contestation, avocats, magistrats et politiques qui dénoncent des gardes à vue « arbitraires », y voient, comme lors d’autres mobilisations ces dernières années, une « répression du mouvement social ». Selon le dernier bilan consolidé du parquet de Paris, 425 personnes ont été placées en garde à vue lors des trois premières soirées de manifestations spontanées, de jeudi à samedi. Seules 52 d’entre elles ont fait l’objet de poursuites à l’issue.
« C’était vraiment toutes sortes de profils : étudiants à l’ENS, médecin, sans-abris, mineurs, syndicalistes, enseignants, des gens qui sortaient d’un colloque et qui ont été nassés », décrit pour l’Agence France-Presse Me Coline Bouillon, l’une des avocates ayant assisté des manifestants. Les personnes ont été placées en garde à vue pour « participation à un groupement en vue de la préparation de violences », ou « dissimulation du visage » et sont restées 24 ou 48 heures en garde à vue, a précisé l’avocate, qui parle de « gardes à vue-sanctions », avec des « dossiers irréguliers », « vides en termes de preuve de culpabilité ».
« On interpelle pour des infractions qui, à nos yeux, sont constituées », mais « 48 heures [de garde à vue] pour essayer de matérialiser l’infraction, c’est court », déclarait déjà le préfet de police mardi, invité sur BFM-TV.
Alerte de la Défenseure des droits sur les conséquences d’interpellations « préventives »
Dans un communiqué, le syndicat de la magistrature (SM), classé à gauche, a lui aussi dénoncé lundi ces nombreux placements en garde à vue, y voyant une « répression du mouvement social ». « Il y a une instrumentalisation du droit pénal par le pouvoir politique, afin de dissuader les manifestants de manifester et d’exercer cette liberté », estime également Me Raphaël Kempf, qui souligne l’absence de « réparation » ou « d’excuse ».
Manuel Bompard, coordinateur de La France insoumise (LFI), a dénoncé mardi sur France Info, « cette pratique des arrestations abusives » tandis qu’Europe Ecologie Les Verts a demandé « l’arrêt des techniques de nasse, jugées comme illégales ». Le même jour, dans un communiqué, la Défenseure des droits, Claire Hédon, a également « alerté sur les conséquences d’interpellations qui seraient préventives ».
Face à la dénonciation de violences policières, Elisabeth Borne assurait mardi devant l’Assemblée nationale, lors de la séance des questions au gouvernement, « rendre hommage à nos forces de l’ordre qui assurent la sécurité des manifestations ». La première ministre a affirmé qu’ils ont « un devoir d’exemplarité et ils en sont conscients, nos policiers comme nos gendarmes ».
Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a déclaré pour sa part que « 94 agents » avaient été blessés depuis jeudi 16 mars, et annoncé qu’il se rendrait dans l’après-midi au « chevet des policiers blessés à Paris ». Il a également souligné « l’indispensable proportionnalité de l’usage de la force et la nécessité de saisir immédiatement les inspections en cas de manquement à la déontologie ».
« Une atteinte grave au droit le plus élémentaire à la sûreté garantis par notre Constitution »
L’Association de défense des libertés constitutionnelles (Adelico) a saisi la justice mercredi, afin de faire cesser à Paris ces interpellations dites « préventives ». Dans son communiqué, l’Adelico estime que :
« Ces interpellations privent arbitrairement les personnes visées de leur liberté, sans que le moindre début d’exécution d’une quelconque infraction ne puisse le justifier. Tout aussi gravement, ces interpellations dissuadent les citoyens et citoyennes de manifester. Cette pratique extrêmement préoccupante dans un état de droit constitue une atteinte grave aux libertés d’aller et venir, de réunion, de manifester, ainsi qu’au droit le plus élémentaire à la sûreté garantis par notre Constitution. »
L’Association a fait savoir qu’elle avait ainsi « déposé une requête en référé liberté devant le tribunal administratif de Paris » pour qu’il enjoigne au préfet de police de Paris, Laurent Nunez, de cesser cette politique de maintien de l’ordre.
Quelque 12 000 policiers et gendarmes, dont 5 000 à Paris, sont mobilisés ce jeudi, pour la 9e journée de protestation contre la réforme, un des plus importants dispositifs mis en oeuvre depuis le début de la contestation.