ces salariés qui carburent à la drogue pour tenir | EUROtoday

ces salariés qui carburent à la drogue pour tenir | EUROtoday

La drogue au travail, ce n’est pas nouveau. Longtemps, on l’a imaginée tapie dans les coulisses des agences de pub ou sur les plateaux de tournage, réservée aux créatifs sous pression, aux insomniaques élégants, aux vies qui débordent. Elle était uncommon, presque romanesque, surgissait à la faveur d’une nuit blanche, d’un bouclage de trop. Elle s’appelait cocaïne, ecstasy, et portait encore les habits de la transgression. Mais depuis quelque temps, elle a changé de visage. Plus discrète, plus régulière, mieux intégrée. Un pochon de poudre dans une poche, une goutte sous la langue, un comprimé avalé entre un café tiède et une visioconférence.

Elle n’est plus l’exception, elle devient une méthode. Silencieuse, fonctionnelle, presque banale. Une réponse chimique à un monde du travail qui pousse à l’endurance plus qu’à l’équilibre, et où il ne suffit plus d’être bon : il faut est le meilleur. Le mot dopage a glissé, s’est effacé, remplacé par d’autres, plus acceptables : optimisation, focus, efficiency. Une glissade sémantique, au service d’une habitude qui s’installe.

La cocaïne, une consommation en plein essor

La première fois que Thomas a pris de la drogue au travail, c’était au début des années 2000. Il était 3 heures du matin, deux plans à finir pour une publicité, une réunion shopper prévue à 10 heures. Son collègue a sorti un pochon de cocaïne de la poche de son jean, et ils sont allés tracer quelques lignes dans les toilettes. « Dans la boîte de postproduction où je bossais à l’époque, un supplier passait régulièrement, soit à la pause déjeuner, soit tard le soir, quand les bureaux se vidaient », raconte-t-il. Rien à voir avec les excès décrits dans 99 Francs ou les romans de Bret Easton Ellis. Pas de luxe tapageur, pas de quête d’euphorie. Comme ses collègues, Thomas cherchait juste à finir à dans les temps.

Aujourd’hui, la poudre blanche s’invite partout. Et les chiffres s’affolent. En 2017, 1,6 % des adultes en avaient consommé dans les douze derniers mois ; aujourd’hui, ils sont près de 3 %. Une hausse qui swimsuit, presque mécaniquement, l’explosion de la manufacturing mondiale. Dans la restauration, le phénomène prend une autre ampleur : près d’un employé sur dix a déjà consommé de la cocaïne, soit « trois fois plus que la moyenne », alerte l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT).

Juste derrière, les artistes et professionnels du spectacle affichent des chiffres préoccupants : près de 18 %, un taux bien supérieur à celui des autres secteurs. « La consommation de psychostimulants, comme la cocaïne, est surreprésentée dans les professions où le rythme de travail est très soutenu, où les horaires décalés sont la norme et où l’endurance physique et mentale est mise à impolite épreuve », analyse Ivana Obradovic, directrice adjointe de l’OFDT.

Elle a pour elle une qualité redoutable dans le monde du travail : sa discrétion. Pas d’odeur suspecte, pas de démarche hésitante, pas de propos incohérents. Juste un surplus d’énergie, une aisance sociale accrue, des ressorts devenus indispensables dans certains métiers où l’exigence ne se limite plus à la efficiency. « Cette hausse ne me surprend pas, dit Jean-Victor Blanc, psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine et enseignant à la Sorbonne. Aujourd’hui, un easy SMS suffit pour être livré en quelques minutes, à moins de 70 euros le gramme. » Mais derrière cette accessibilité, le hazard, lui, gagne en puissance. « La cocaïne n’a jamais été aussi pure. Et c’est justement ce qui la rend plus dangereuse », alerte Jean-Victor Blanc. Plus la substance est concentrée, plus l’effet est immédiat, et plus la dépendance s’installe vite. Les dégâts ne sont pas que physiques : troubles anxieux, épisodes dépressifs, désocialisation. Une spirale silencieuse, souvent dissimulée derrière un visage lisse, efficace, performant. Jusqu’au jour où tout craque.

Une nouvelle échappatoire

Après dix ans de consommation régulière, Thomas a fini par décrocher. « Sur le second, c’est génial. Mais avec le temps, les descentes sont devenues de plus en plus dures. Je me suis rendu compte que j’étais coincé dans une spirale qui, en réalité, nuisait au travail », confie-t-il. Après les charrettes, il fallait redescendre : un joint pour calmer l’agitation, parfois de l’alcool pour faire taire l’insomnie. « Autour de moi, j’ai vu des collègues perdre pied. Certains ont été virés. Plus fiables, plus stables. »

Comme quelques amis, Thomas a fini par revoir ses usages. Il a troqué la cocaïne pour une autre pratique, plus en vogue dans les milieux créatifs : le microdosage de LSD. Importée des États-Unis, où elle séduit depuis plusieurs années les cerveaux en surchauffe de la Silicon Valley, la méthode consiste à absorber, sous forme de goutte ou de spray, des quantités infimes de psychédéliques. Juste assez pour stimuler l’creativeness, affûter l’consideration, sans basculer dans les effets hallucinogènes d’une prise classique. « Ceux qui se tournent vers le microdosage ne cherchent pas à altérer leur état de conscience, observe Ivana Obradovic. Ils espèrent booster leur capacité d’consideration, leur productivité, leur créativité, réduire l’anxiété et le stress. »

À LIRE AUSSI La « Slack fatigue » : quand les notifications pourrissent la vie des salariésPour Arthur, le premier confinement a tout déréglé. Une rupture, des journées sans contours, l’anxiété qui monte et ne redescend plus. Il fallait trouver un level d’ancrage, une façon de structurer le temps, de rester debout. Alors, il s’est laissé tenter par le microdosage. « Ça m’a permis de rester focus sur mon travail, de ne pas trop gamberger, d’avoir l’impression de garder le contrôle », raconte-t-il. Une habitude glissée dans le quotidien sans vraiment y penser, et qu’il n’a, depuis, jamais totalement abandonnée.

En janvier 2020, Forbes décryptait cette dernière lubie des entrepreneurs de la tech et révélait qu’avec 2 000 {dollars} en poche, on pouvait même s’offrir les conseils d’un « coach en hallucinations ». Sans oublier cette phrase lancée un jour par Steve Jobs à Bill Gates, reprise au fil des années : « Tu aurais été bien plus créatif si tu avais pris le temps de planer un peu. » Dans un monde où l’innovation se joue à la seconde et la jeunesse se consomme comme un capital, chacun cherche son raccourci, son levier discret, son accélérateur silencieux pour rester dans la course.

Mais même si, comme Arthur, certains assurent garder le contrôle, même si les doses sont infimes, la pratique n’est pas sans risque. Les effets du microdosage sur le lengthy terme restent flous, peu documentés. Ce que la science start à montrer, en revanche, inquiète. « Le LSD entraîne une augmentation du rythme cardiaque et, surtout, il peut précipiter l’apparition de pathologies mentales sous-jacentes », souligne Ivana Obradovic. Bipolarité, schizophrénie : chez ceux qui portent déjà ces fragilités sans le savoir, la bascule peut être rapide. Silencieuse aussi.

Un utilization détourné des médicaments psychostimulants

Si les psychédéliques en microdose intriguent et que la cocaïne proceed de circuler dans certains milieux professionnels, une autre catégorie de stimulants s’est imposée, plus discrètement : les sensible medicine. Un nom lisse, presque clinique, qui évoque davantage l’optimisation que la dépendance. Ritaline, Adderall, Medikinet, Concerta, Modafinil… À l’origine, ces médicaments étaient prescrits aux enfants diagnostiqués TDAH ou aux sufferers atteints de narcolepsie. Puis, ils ont lentement quitté les pharmacies pour se glisser dans les cartables d’étudiants, les sacs des stagiaires, les tiroirs des open areas. Devenus un outil parmi d’autres. Rester concentré, tenir plus longtemps, cocher toutes les instances.

Une pilule qui change tout, l’idée ne date pas d’hier. Le movie Limitless en a fait un fantasme : un médicament qui transforme un écrivain raté en génie absolu. Lucy a poussé le mythe encore plus loin, Scarlett Johansson débloquant 100 % de ses capacités cérébrales après avoir absorbé une substance expérimentale. Dans la vraie vie, pas de superpouvoirs, pas de visions lumineuses. Mais une promesse séduisante : une focus affûtée, une fatigue repoussée, une vigilance qui tient jusqu’au bout de la nuit. Juste ce qu’il faut pour rester dans le rythme, sans craquer.

À LIRE AUSSI Nouveau job : ces erreurs anodines qui peuvent vous coûter cherSi les sensible medicine font autant parler d’elles, c’est aussi parce qu’elles sont tout simplement plus présentes. La hausse des diagnostics de TDAH s’est accompagnée d’une explosion des prescriptions. En France, selon l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), le nombre de boîtes de Ritaline vendues est passé de 26 000 en 1996 à 220 000 en 2005, puis à plus de 600 000 en 2014. Une development spectaculaire, reflet d’une meilleure reconnaissance du bother, mais qui, en filigrane, alimente aussi un marché parallèle plus difficile à cerner.

Difficile de tracer la frontière entre l’utilization médical et le détournement. Mais une selected est sûre : ces médicaments circulent bien au-delà des sufferers à qui ils sont initialement destinés. Une boîte prescrite pour un enfant diagnostiqué devient une ressource partagée entre amis. Un collègue en burn-out se voit recommander une pilule « testée et approuvée » par un autre. Le tout dans une forme de normalité désarmante, loin des représentations classiques de la dépendance. « Aujourd’hui, on manque de données précises sur les consommateurs de médicaments psychotropes en France, regrette Ivana Obradovic. Et même si les ordonnances sont contrôlées et que les autorisations de mise sur le marché sont bien plus strictes qu’aux États-Unis, on sait qu’il existe de nombreux détournements hors prescription médicale. » Combien exactement ? Impossible à dire.

Une consommation dopée par la crise

Le constat est là : travailler ne suffit plus, il faut tenir. Encaisser les heures, les injonctions, les urgences qui s’enchaînent. Rester performant malgré la fatigue, productif malgré l’anxiété. Selon le dernier baromètre d’Empreinte humaine avec OpinionWay, 42 % des salariés français se disent en détresse psychologique. Près d’un sur deux affirme ne pas pouvoir dire non à une tâche supplémentaire, même lorsque la cost est déjà trop lourde. Dans certains secteurs, la frontière entre implication et surmenage s’estompe. Et avec elle, celle qui séparait encore le recours ponctuel d’un glissement plus profond vers l’aide chimique.

« Ce n’est pas une drogue, c’est une béquille », tranche Mathieu, advisor en finance, habitué des nuits écourtées au Modafinil. Un comprimé avant une présentation décisive, une gélule glissée dans la poche en vue d’un déplacement. Des gestes en apparence anodins, intégrés au quotidien, qui transforment peu à peu le corps en outil de manufacturing.

À LIRE AUSSI Lunch field, stress et notifications : la pause déj en voie de disparition « De plus en plus de salariés se sentent contraints de recourir à ces substances pour affronter un environnement professionnel stressant et toxique, pour ne pas décrocher, observe Jean-Victor Blanc. On accuse la drogue, mais pour comprendre ces usages, il faut aussi regarder du côté du monde du travail. » Dans certaines entreprises, la prise de stimulants s’inscrit dans une tradition où la efficiency l’emporte sur la santé. « Dans mon entreprise, la query n’est plus de savoir si les gens prennent des boosters chimiques, mais combien le font, demande Mathieu. Au bureau, on s’échange des boîtes en toute discrétion, on se refile des noms de médecins plus arrangeants, on normalise ce qui, il y a encore quelques années, aurait été impensable. »

Et c’est assez logique. Au début, tout semble plus easy : les idées fusent, les journées s’étirent, les performances s’enchaînent. Mais cette impression de maîtrise est trompeuse. « Les premiers effets donnent l’phantasm d’un mieux, d’un achieve immédiat. Pourtant, c’est une mécanique qui s’épuise vite », ajoute le psychologue. À mesure que le corps s’adapte, les effets s’estompent. Ce qui fonctionnait hier devient insuffisant. Il faut augmenter les doses, s’assurer que la machine tourne. Certains s’arrêtent à temps. D’autres non. « Selon une étude menée par des chercheurs de l’université de Cambridge, à lengthy terme, ces substances peuvent finir par produire l’inverse de l’effet recherché, affirme Ivana Obradovic. Temps de réponse allongé, capacité d’consideration diminuée, performances cognitives altérées. »

Une norme discrète

Alors, la consommation de drogues et de stimulants va-t-elle continuer d’augmenter dans les années à venir ? Difficile à dire. Mais les signaux sont là. Une économie sous pression, des tensions géopolitiques persistantes, des entreprises qui exigent toujours plus de salariés déjà épuisés. « Les travaux de l’Agence européenne des drogues soulignent qu’en période de récession économique, la consommation de drogues a tendance à augmenter, surtout chez les personnes les plus défavorisées », rappelle Ivana Obradovic.


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Et puis, il y a ce glissement, plus discret, plus insidieux. L’explosion des diagnostics de TDAH, la banalisation des prescriptions, ces comprimés avalés sans y penser, au milieu d’une réunion, entre deux mails. Une habitude qui s’installe, un automatisme qui s’ancre, jusqu’à faire croire que l’on peut corriger sa fatigue comme on soulage une migraine.

Peu à peu, la frontière entre soin et dopage s’estompe. Elle ne disparaît pas, elle s’efface doucement, noyée dans le rythme, rendue flou par l’épuisement. La query n’est peut-être plus de savoir si la consommation va croître, mais jusqu’où elle s’intégrera dans le quotidien. Parce que ce qui relevait hier d’un utilization marginal est devenu une norme discrète. Une manière de tenir dans un monde du travail qui semble oublier qu’à pressure de tirer sur la corde, les corps – comme les esprits – finissent toujours par lâcher.


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