En 1999, le réalisateur américain Kevin Smith, alors âgé de 29 ans, scandalisait une (petite) partie de l’Amérique chrétienne avec Dogma. Une comédie indépendante bien frappée où Ben Affleck et Matt Damon incarnent Bartleby et Loki, deux anges déchus, bannis par Dieu depuis des siècles en plein Wisconsin après avoir trahi sa confiance. En quête désespérée d’un retour au paradis, le tandem s’allie au démon Azrael (Jason Lee) pour tirer parti d’une célébration à venir dans une église du New Jersey, qui serait leur nouveau passeport pour les cieux… Mais risquerait bien de détruire toute existence sur Terre.
Quatrième long-métrage de Smith, Dogma se moquait gentiment de la liturgie et de l’iconographie chrétiennes, montrait plein cadre l’entrejambe sans sexe d’un ange masculin (joué par le regretté Alan Rickman) et représentait Dieu sous les traits d’une Alanis Morissette guillerette et toute muette. Kevin Smith ajoutait à sa galerie azimutée une conseillère dans une clinique abortive, choisie par le seigneur pour sauver le monde (Linda Fiorentino), un apôtre travaillant dans un membership de strip-tease (Chris Rock) et deux prophètes érotomanes et dégénérés – Jay et Silent Bob, personnages cultes traversant les movies du réalisateur, campés respectivement par Jason Mewes et lui-même…
Pas bien finaud, criblé de gros mots et d’un humour de vestiaires typique du réalisateur, Dogma se révèle à la revoyure franchement inoffensif et reflète surtout les croyances religieuses de son auteur élevé dans la foi catholique. Le movie déclencha pourtant la colère de certains fidèles de l’Église, qui le jugèrent blasphématoire et manifestèrent devant certains cinémas. Un quart de siècle après sa sortie, Dogma reste le plus gros succès au box-office de Kevin Smith et un sujet très personnel pour l’ex-pratiquant.
Après un sacré passage à vide personnel, incluant un infarctus en 2018 et un court docket internement psychiatrique en 2023, le cinéaste, qui a perdu plus de 50 kg ces dernières années en suivant un régime drastique, semble décidé à reprendre sa couronne d’ex-prodige du cinéma américain indépendant. Celle d’un auteur inégal mais singulier, multi-talents (il signe également des scénarios de comics), geek jusqu’à la moelle (il a prénommé sa fille distinctive Harley Quinn…) et créateur de son propre petit univers de movies interconnectés (le View Askewniverse, d’après le nom de sa société de manufacturing).
À Cannes, où il est venu présenter, dans le cadre de Cannes Classics et dans une ambiance de feu, une model restaurée en 4K de Dogma, le réalisateur s’est confié au Point sur son nouveau départ, sur le choc visionnaire de son premier lengthy métrage Clerks (projeté à la Semaine de la critique en 1994) et sur son statut de prophète involontaire de la popular culture depuis les années 1990. Attention, confessions !
Le Point : Êtes-vous à l’initiative de cette restauration en 4K de Dogma, votre movie le plus controversé à ce jour ?
Kevin Smith : oui et non. Voici cinq ans, j’ai essayé de racheter les droits de Dogma à Harvey Weinstein, qui les détenait personnellement. Je lui ai fait trois offres consécutives pendant qu’il était en jail. J’ai d’abord proposé 250 000 {dollars} comme level de départ, il m’a dit non. Puis j’ai offert 500 000 {dollars}, ce fut encore non… J’ai alors contacté divers partenaires et j’ai pu revenir avec une offre d’un million : ce fut toujours non ! Harvey réclamait en fait cinq thousands and thousands de {dollars}.
Je lui ai répondu : « Écoute Harvey, j’aime Dogma, mais si j’avais cinq thousands and thousands de {dollars} à dépenser, ce serait pour faire un nouveau movie, pas pour en racheter un vieux ! » J’ai lâché l’affaire puis il est retourné au tribunal et je suppose qu’il avait besoin d’argent… parce qu’il a alors revendu à la productrice Alessandra Williams les movies dont il avait racheté les droits à Miramax, dont Kill Bill, Fahrenheit 9/11, Kids de Larry Clark… et Dogma.
Alessandra adore Dogma, elle vient du New Jersey comme moi et elle m’a contacté un jour en me proposant de m’aider à restaurer le movie. Si je suis à Cannes aujourd’hui face à vous, c’est uniquement grâce à elle. Je suis venu trois fois dans ce pageant – en 1994 pour Clerks, en 1999 pour Dogma et en 2006 pour Clerks 2… puis plus jamais. Je pensais bien ne jamais revenir ici, que mes meilleurs movies et mes jours à Cannes étaient derrière moi… Et me voilà ici.
Et vous avez donc annoncé un projet de suite à Dogma, plus de 25 ans après l’unique…
J’y travaille dans ma tête depuis six mois, c’est mon rêve. J’espère bien revenir à Cannes pour la 80e édition du pageant (en 2027 donc – NDLR) – ou la 81e – avec la suite de Dogma. Toute l’histoire est en place et tous les membres du casting d’origine (à l’exception des regrettés Alan Rickman et George Carlin…) auront une place autour de la desk de lecture du script. Tout dépendra d’eux, s’ils veulent revenir ou non, mais il y a de la place pour tous.
Vous avez été élevé dans la foi catholique, vous êtes l’auteur du script de Dogma, vous attendiez-vous à ce que le movie crée la polémique ?
Non… elle m’a sidéré tant le movie est pro-foi. C’était un hommage à ma propre foi ! Il jette juste un regard légèrement critique sur l’establishment de l’Église. Le catholicisme a été une grande partie de mon identité, depuis le message de Jésus aux rituels cérémoniaux de l’église que j’adorais dans l’enfance. D’ailleurs, j’ai longtemps voulu être prêtre… Mais après Dogma, j’ai perdu ma foi. Pas seulement à trigger du movie, mais à trigger de la vie en général.
Il y a quelques années de ça, j’ai fait une dépression qui m’a conduit dans un hôpital psychiatrique pendant environ un mois. Je me dis aujourd’hui que ce fut peut-être la conséquence de cette désillusion sur la faith. La conséquence du fait de ne plus pouvoir m’appuyer de temps en temps sur la foi et dire : « Bon, Jésus, prends le volant »… Je pense que le second est venu de me réengager avec elle. Je comprends qu’il y a moins de vie devant moi que derrière moi… et qu’il est temps de me dépêcher de faire ce que je veux faire. Ma foi me manque et tout cela va nourrir le prochain Dogma.
En 2018, vous êtes aussi passé tout près de la mort avec un infarctus d’une extrême gravité… une expérience qui a sans doute aussi stimulé votre besoin de croire à nouveau ?
J’ai effectivement vécu une expérience de mort imminente voici sept ans. Je me souviens que sur la desk d’opération, le médecin m’a dit : « Vous faites une crise cardiaque de kind faiseuse de veuves. Dans 80 % des cas comme le vôtre, le affected person meurt. Mais comme je suis bon dans mon style, vous serez dans les 20 % restants. » Il m’a sauvé la vie et je n’ai plus jamais été le même.
Revenons sur le movie qui vous a rendu célèbre à Cannes : Clerks, en 1994, ou le quotidien morne et hilarant de Dante et Randal, deux jeunes amis du New Jersey qui haïssent leur job respectif, l’un dans un vidéoclub, l’autre dans une supérette. Dans une scène du movie, ils débattent pour savoir si Le Retour du Jedi est meilleur que L’Empire contre attaque… Il y a aussi ce second génial où ils dissertent sur les convictions morales des ouvriers qui retapent l’Étoile de la mort. Aujourd’hui, ce style de clins d’œil est partout dans les movies hollywoodiens, mais à l’époque, vous étiez le seul à le faire. Personne n’écrivait des dialogues méta textuels aussi pointus, même pas Tarantino. Peut-on dire que vous avez été le prophète de l’avènement de la popular culture à Hollywood ?
Je revendique volontiers le droit de me la raconter un peu sur ce coup-là, oui ! On a présenté Clerks à la Semaine de la critique à Cannes. Je me suis assis avec un journaliste des Cahiers du cinéma qui m’a fait remarquer la scène que vous évoquez, alors que plus personne ne parlait de Star Wars à l’époque. Puis il a commencé à fredonner le thème de Darth Vader dans L’Empire contre attaque… J’ai fait pareil, et nous avons continué à chanter tout le morceau ensemble. Je n’ai pas écrit cette scène pour évangéliser qui que ce soit, mais juste parce que cette tradition signifiait énormément à mes yeux (Kevin Smith est né en 1970, il avait 7 ans quand La Guerre des étoiles sortit en salle – NDLR).
C’était comme un langage universel me permettant de communiquer avec d’autres followers qui partageaient ma ardour d’enfance. Trois ans plus tard, Star Wars a été redécouvert par une nouvelle génération grâce aux « éditions spéciales » de George Lucas puis avec la nouvelle trilogie de 1999. Mais à l’époque de Clerks, c’était un truc passé de mode ! Plus de 30 ans après Clerks, j’adore qu’on me parle encore de cette scène. Et j’adore aussi que Tony Gilroy dise aux journalistes que, basiquement, sa série Andor est une model sérieuse de ce que j’ai fait avec Clerks (rires).
En 2000, la sortie de X-Men de Bryan Singer a été vécue par beaucoup de lecteurs de comics comme la concrétisation de leurs rêves les plus fous… Un vrai blockbuster de superhéros Marvel, ni fauché ni raté !
Absolument. Notre seule critique à l’époque du movie visait les costumes pompés sur ceux de Matrix, parce que les auteurs n’assumaient pas encore vraiment les codes visuels des comics. À l’époque, 20 th Century Fox était si inquiète qu’elle n’avait même pas fait de projections pour les critiques. Dans l’ombre de la manufacturing, il y avait déjà un tout jeune assistant de la productrice Lauren Shuler Donner, nommé… Kevin Feige, qui allait plus tard définir tout le Marvel Cinematic Universe.
Vous avez été à l’avant-poste de cette révolution à Hollywood en écrivant des scénarios pour plusieurs comics Marvel et DC, en tenant un petit rôle dans le movie Daredevil en 2003 (son personnage : un légiste nommé… Jack Kirby), en signant le scénario du Superman Reborn de Tim Burton qui n’a hélas jamais vu le jour… Vous étiez de tous les podcasts sur le sujet… Vous sentiez-vous comme l’apôtre visionnaire de cette tradition ?
Non, pas du tout. J’aimais les comics et je les défendais depuis toujours. En fait, dans ma tête, je n’étais pas du tout un visionnaire mais plutôt un mec qui défendait le passé ! Et puis quand cet univers est finalement devenu l’avenir et le présent de Hollywood, des décideurs se sont dit « Hey mais ce mec connaît le sujet, faisons appel à lui ! »… Mais je n’ai jamais réalisé de movie de superhéros, je ne suis pas Joss Whedon, je n’ai pas ce style de imaginative and prescient, je ne suis pas doué pour fabriquer des machines immenses qui doivent plaire à tous les publics. J’ai réalisé des épisodes de Flash et Supergirl pour CW, mais ça s’arrête là. Au bout de sept jours, je n’en peux plus.
Ne pensez-vous pas aujourd’hui que le rêve a tourné au cauchemar au vu de l’effondrement qualitatif des movies de superhéros en général et Marvel en particulier ? La création de ces univers interconnectés n’a-t-elle pas fini par tuer dans l’œuf la liberté des scénaristes ?
J’adore WandaVision mais dès que Disney+ a ajouté les séries télé dans l’univers Marvel, la tâche est devenue unattainable pour les auteurs. Parfois ils commencent une histoire, la changent à mi-chemin et cela entraîne d’autres changements cinq autres movies plus loin… tout le monde s’y perd, c’est unattainable de maintenir ce fil narratif fixed. La seule answer pour Marvel Studios – et c’est ce qu’ils vont faire – c’est que les movies opèrent un reboot généralisé, comme ce qui se produit régulièrement dans les comics. Et c’est ce qui va se passer après Avengers : Doomsday et Secret Wars.
Ça laisse bien trois ans aux équipes pour préparer ce changement. Ça va être comme une grande fête ! Vous verrez, ils vont nous montrer la voie, remark absorber ce kind de narration et faire accepter au public un nouveau visage pour Iron Man – comme nous avons accepté divers interprètes de Batman, Spider-Man et James Bond. Kevin Feige est particulièrement doué pour traduire sur grand écran l’expérience de la lecture d’un comedian e book. Et je pense aussi que le casting, le choix des nouveaux visages va être la clé de voûte de cette model 2 du MCU.
Mais… et les réalisateurs dans tout ça ? Les meilleurs movies de superhéros – Superman, X-Men, les Spider-Man de Sam Raimi, les Batman de Nolan… – ont tous été réalisés par des cinéastes qui avaient, sinon les pleins pouvoirs, du moins une relative liberté pour greffer leur imaginative and prescient, leur voix à ces univers.
Ça, c’est hélas devenu unattainable je suis d’accord. Ces movies fonctionnent désormais plus comme une vaste série télé. Le réalisateur doit être surtout un bon assembleur, quelqu’un qui doit toujours dire « Action, coupez » aux bons moments… Mais les scènes d’motion de ces movies sont réalisées en section de « prévisualisation » confiées par les studios à des sociétés spécialisées (on vous explique tout sur le principe de la « pré-viz » ICI !). Je me souviens d’une dialogue avec les frères Russo où je leur disais que je ne me verrais jamais diriger les méga scènes d’motion comme celles des Avengers.
Ils m’ont répondu : « Tu serais surpris de voir à quel level c’est facile, même pour toi ! Au second où tu arrives sur le plateau, tout a déjà été pré-imaginé pour toi ». Tout ce qu’un réalisateur peut faire sur un movie de superhéros, c’est exécuter ou contribuer à améliorer un plan déjà établi. Les studios sont malins : ils vont chercher des jeunes réalisateurs directement à la sortie des écoles de cinéma pour les mettre au travail sur ces univers. Mais pour ma half, ayant créé mes propres histoires, mes propres mondes, fait ce que j’ai toujours voulu faire au cinéma, il me serait unattainable d’exécuter simplement la imaginative and prescient de quelqu’un d’autre.
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Mais vous ne tarissez pas d’éloge sur ces movies publiquement…
Oui, collectivement je les adore. Je n’en réaliserai jamais un, mais j’aime les regarder, j’ai toujours aimé l’univers qu’ils célèbrent. Tout comme j’adore écrire des scénarios pour les comics Marvel, une entreprise qui fourmille toujours d’auteurs et de créateurs merveilleux, qui m’ont offert tant d’heures de divertissement, qui m’ont permis de laisser mon esprit vagabonder, d’imaginer et de rêver. Je n’aurais jamais pu faire ou écrire Dogma si je n’avais pas grandi en lisant des comics Marvel et DC. Avoir apporté ma petite pierre modeste à cet édifice compte énormément pour moi. J’ai l’impression d’avoir remboursé ma dette.
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