ces mots du travail que l’on ne supporte plus | EUROtoday

ces mots du travail que l’on ne supporte plus | EUROtoday

À quoi servent les mots ? La query peut sembler easy, presque enfantine. Et pourtant. Ils permettent de dire ce que l’on pense, ce que l’on ressent, ce que l’on n’arrive pas toujours à formuler autrement. Ils mettent de la clarté là où tout s’embrouille dans nos têtes, permettent de se faire comprendre, de se faire entendre. Certains mots rapprochent, d’autres éloignent. Un easy « reste » ou « pars » suffit parfois à faire basculer une vie. Même maladroits, même lancés trop vite, les mots comptent. Ce sont eux qui permettent les rencontres, d’exister aux yeux des autres, de s’inscrire dans le monde. Ce sont des liens jetés entre nous, fragiles mais essentiels.

Les mots du bureau ne sont jamais neutres

Bien évidemment, dans le monde du travail, les mots obéissent à d’autres lois. Dans une salle de réunion, un couloir feutré ou devant la machine à café, ils ne servent plus seulement à dire, mais à se positionner. On parle pour affirmer son rôle, pour signaler qu’on est à sa place ou qu’on y tient. Parce que dans cet univers-là, bien parler, c’est déjà prendre l’ascendant sur l’autre. C’est tracer des lignes subtiles entre ceux qui maîtrisent et ceux qui peinent à suivre. L’engouement pour les concours d’éloquence en dit lengthy : la parole y devient passeport social, tremplin discret vers un peu de reconnaissance, une attainable promotion. Assez logique, au fond. Celui qui maîtrise le langage ne se contente pas de s’exprimer. Il définit les termes du débat, en dessine les contours, impose un récit. Et, sans même en avoir l’air, exerce un pouvoir bien plus décisif que la easy prise de parole.

À LIRE AUSSI « Pour moi, c’est du bullshit ! » : à quoi sert vraiment la tradition d’entreprise ? Les mots, au travail, ne sont jamais neutres. Pierre Bourdieu l’avait montré dans La Distinction (éd. de Minuit, 1979) : ils portent en eux une origine sociale, un habitus, une manière d’habiter le monde. Le vocabulaire qu’on choisit, la tournure qu’on emploie, tout cela dit quelque selected de nous : d’où l’on vient, ce que l’on maîtrise, et ce qu’il nous sera peut-être toujours hors d’atteinte. Dans l’entreprise, ce décalage peut sembler anodin, presque imperceptible. Mais un mot mal choisi suffit à attirer les regards, à installer un doute. On vous écoute autrement. On vous classe, parfois sans même s’en rendre compte.

Enfin, les mots tracent des frontières invisibles entre les métiers, les territoires, les mondes. Une agence de com dans le Marais à Paris, une usine en périphérie de Toulouse, une maison d’édition à Lille ou une start-up tech à Aix-en-Provence : aucun ne parle exactement la même langue. Parfois, le lexique change d’un étage à l’autre, d’un open area à l’autre. Mais derrière ces mots, il y a plus qu’un jargon : c’est une manière d’être ensemble. Parler comme les autres, c’est prouver qu’on connaît les codes, les rites, les usages. Ceux qui ne les maîtrisent pas sont vite perçus comme des intrus.

Quand le langage sert à masquer ce que l’entreprise ne veut pas affronter

Juliette, 33 ans, a compris l’significance des mots au travail le jour où elle a quitté un groupe de presse pour rejoindre une start-up Food Tech, en 2020. « Dans mon ancien job, les intitulés de poste étaient clairs, presque descriptifs. On savait qui faisait quoi », se souvient-elle. Là, c’était vraiment autre selected. DevOps, CFO, key account supervisor, progress hacker, QA engineer… Elle entendait ces termes étranges à longueur de journée, sans bien saisir ce qu’ils voulaient dire. Content supervisor, c’était le titre qu’on lui avait attribué. « J’ai trouvé ça drôle, au début. » Mais très vite, elle despatched que la blague ne fait rire qu’elle. Dans les conversations, elle guette les silences gênés, les sourcils qui se haussent quand elle demande trop franchement : « Et toi, tu fais quoi exactement ? » Alors elle apprend à se taire. À chercher sur Google. À noter les mots qu’il faut connaître, ceux qu’il vaut mieux éviter. Non pas pour briller, mais simplement pour ne pas faire tache dans le décor. Pour ne pas être celle qui pose les mauvaises questions.

À LIRE AUSSI « J’y passe minimal quatre heures par jour » : quand la réunionite sabote le vrai travailEn France comme ailleurs, il suffit de pousser la porte d’un open area pour entendre cette langue étrange qui s’est installée sans bruit. Un mélange d’anglais, de jargon managérial et de développement personnel. On n’est plus embauché, on est onboardé. On ne charge pas, on pivote. On ne prend pas de pause, on optimise son temps de cerveau disponible. Ce n’est pas 1984 de George Orwell, où les mots sont imposés d’en haut pour verrouiller les esprits. Ici, personne n’a rien imposé. La langue s’est diffusée d’elle-même, doucement, mail après mail, réunion après réunion. Jusqu’à s’imposer partout.

Mais plus cette langue s’est installée, plus une forme de prudence s’est glissée dans les échanges : derrière chaque mot, un risque à éviter. Dire qu’on doute, c’est se montrer vulnérable. Dire qu’on est fatigué, c’est devenir suspect. Alors on arrondit, on reformule, on maquille. Les formules s’enchaînent, interchangeables, désincarnées : « donner de la visibilité », « mobiliser les events prenantes », « faire monter en compétences ». Ce n’est pas de la langue de bois. C’est plus insidieux. Une langue qui meuble, qui détourne, qui donne l’phantasm du dialogue quand il n’existe plus. Parfois, un salarié lâche un mot trop web : « C’est injuste », « je suis seul ». Et tout se fige. Parce que dans cette langue-là, il n’y a pas de place pour ce qui échappe aux grilles. Alors on proceed à parler, pour éviter que le silence ne dise ce qu’on ne sait plus nommer.

Au fond, la logique est la même que chez Orwell. Cette langue, à power de lisser les angles, finit par effacer le réel. À power de parler efficiency, alignement stratégique, conduite du changement, on oublie ce que vivent les gens. Les tensions, les doutes, les colères, les découragements, tout ce qui ne rentre pas dans la grille devient illisible. Et comme on ne le dit plus, on ne le voit plus.

Petit inventaire des mots du travail que vous ne supportez plus

Puisque les mots façonnent notre manière de penser le travail, on vous a demandé ceux que vous ne supportez plus. Trop usés, trop creux, trop loin du réel. Ces expressions qu’on répète machinalement, sans savoir ce qu’elles veulent dire. Vos réponses dessinent en creux un monde professionnel en mal de mot, qui tâtonne pour nommer ce qu’il traverse, ce qu’il ressent et ce qu’il ne comprend plus. Un monde qui, parfois, perd ses mots. Et avec eux, un peu de lucidité.

Acter : « Dans mon entreprise, on passe notre temps à acter des choses, et ça m’agace au plus haut level. Ce mot donne l’impression qu’un contrat ethical a été signé entre mon chef et mon équipe. Comme si tout devait se dérouler exactement comme prévu. Or, dans la vie, les choses évoluent tout le temps, et parfois, ça dérape. Acter, ça fige et ça met une pression inutile. On n’a pas un contrat sur la tête si ça ne marche pas. » Yann, 42 ans, chef de service advertising and marketing

Agilité : « Notre directeur général en parle tout le temps. Pour lui, la clé d’une entreprise qui fonctionne bien, c’est l’agilité. Comprendre : être toujours prêt à bouger, à changer de cap, à adopter le dernier outil à la mode. Je ne dis pas qu’il faut rester figé, mais cette injonction au mouvement everlasting, c’est épuisant. On passe notre temps à revoir nos façons de faire, même quand elles fonctionnent bien. Et pendant ce temps-là, on ne fait plus rien d’autre. » Ariane, 39 ans, productrice.

À LIRE AUSSI « On a basculé dans l’idiocratie » : quand les incompétents grimpent les échelonsAsap : « Moi, je suis restaurateur, pas dealer. Pourtant, on me demande tout asap. Une réponse à un fournisseur, un devis, un retour shopper… Il faudrait tout, tout de suite. On ne dit plus “vite” ou “dès que tu peux”, non, on stability asap, comme si c’était une urgence mondiale. Mais à power d’aller toujours plus vite, on bâcle, on oublie, on s’épuise. Mes plats, je ne peux pas les cuire en deux minutes. » Julien, 53 ans, restaurateur.

Bande-passante : « Visiblement, je ne suis plus un être humain, mais je suis devenu une machine. On ne me demande plus si je suis disponible ou fatigué, on me demande si j’ai de la bande-passante. Comme si mon cerveau pouvait saturer comme un réseau wi-fi. C’est plus stylish que de dire qu’on frôle le burn-out. Mais à power de parler comme si on était des objets, on finit par bosser comme eux. Sans pause, sans plus pour notre vie perso, sans droit au doute. » Matthieu, 45 ans, chef de projet éditorial.

Belle journée : « C’est devenu la ponctuation automatique des mails au bureau. Même quand le message est sec, tendu, voire franchement désagréable, il se termine par un “Belle journée”. Comme un pansement posé à la va-vite. À power, ça sonne fake. On ne se souhaite pas vraiment une belle journée, on clôt un échange sans y penser. C’est poli, oui, mais c’est tremendous énervant. » Rémi, 48 ans, analyste financier.

Bienveillance : « J’ai toujours appris à me méfier des mots trop doux, surtout quand ils sont répétés. Dans mes expériences, plus on me parlait de bienveillance, d’esprit d’équipe ou de “famille”, plus le administration se révélait toxique. La bienveillance, en théorie, va de pair avec une certaine proximité. Mais dans la pratique, ça devient un prétexte pour franchir les limites : des messages en dehors des horaires, des demandes de dernière minute, des coups de primary qui deviennent la norme. Je ne dis pas qu’il ne faut pas être versatile, mais ce n’est pas parce que ton manageur te demande remark tu vas chaque matin qu’il peut ensuite te demander d’accepter n’importe quoi. » Jimmy, 43 ans, business.

Game changer : « Dans mon service, les trentenaires n’arrêtent pas de dire “game changer”. Une nouvelle machine à café ? Game changer. Un logiciel censé fluidifier la prise de rendez-vous ? Game changer. Euh, non. En réalité, le travail reste le même. Les mails s’accumulent, les dossiers urgents aussi. C’est une expression qui donne l’impression qu’on est à un tournant décisif, alors que c’est juste des micro-ajustements sans grand effet. On la voit partout, même dans la vie de tous les jours. C’est censé créer de l’enthousiasme, du mouvement. Mais à power d’être utilisée à tort et à travers, elle finit par masquer une évidence : rien ne change vraiment. » Christine, 52 ans, secrétaire.

À LIRE AUSSI « La flatterie fonctionne toujours avec lui » : quand les compliments deviennent une stratégie de pouvoirKPI : « Ça peut sembler paradoxal, mais je suis chef d’une petite entreprise de dix salariés et je n’aime pas les KPI. On croit que ça clarifie, mais en réalité, ça enlève toute marge de manœuvre. Moi, ce qui m’intéresse, c’est que les salariés puissent atteindre leurs objectifs à leur manière, en y prenant du plaisir. Et puis, il y a des choses que je refuse de mesurer : l’engagement, la confiance, l’implication. Ça ne se coche pas dans un tableau Excel et pourtant, ça fait toute la différence. » Frédéric, 60 ans, chef d’entreprise.

Lead dans l’expression « prendre le lead » : « En réunion ou face à un shopper, on entend souvent “je prends le lead”, “je te laisse le lead”. Comme si le easy fait de prendre la parole faisait de vous un chef. Moi, je ne comprends pas qu’on utilise cette expression anglo-saxonne. Dire “je vais prendre la parole”, c’est plus neutre. “Prendre le lead”, ça installe une hiérarchie, une domination implicite, là où il ne s’agit parfois que d’exposer un level de vue. » Marion, 32 ans, comptable.

Leadership : « D’après mon expérience, le management, c’est une notion floue et trop valorisée. Ce mot sous-entend qu’on devrait être succesful de mener des projets avec entrain, se rendre seen en interne, fédérer autour de soi… Bref, cocher toutes les instances d’un idéal managérial très convenu. Mais derrière cette vitrine, on valorise surtout les personnalités extraverties, bien intégrées dans la tradition maison, sûres d’elles, parfois à tort. Le fond du projet ? Sa cohérence ? Son utilité réelle ? Tout ça passe au second plan. » Jessica, 37 ans, consultante.


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OK : dans l’expression « C’est Ok ». « Je trouve que cette expression nous empêche de penser. On l’utilise pour clore une dialogue un peu trop vite, comme un tampon censé régler la query. C’est OK, ça met un level last là où il faudrait creuser, discuter, nuancer. C’est un mot-valise, pratique, mais vide. Il donne l’phantasm qu’on est d’accord, alors qu’en réalité, on évite juste d’aller au fond des choses. » Gabrielle, 30 ans, photographe.

Talent : « Aujourd’hui, on ne recrute plus des gens, on cherche des abilities. Mais un expertise, c’est un mot abstrait, presque poétique, qui gomme ce qu’on est vraiment : des êtres humains, avec des doutes, des limites, pas juste des potentiels à exploiter. C’est comme si on avait plus le droit d’être moyen ou juste compétent. Il faudrait pouvoir rayonner, performer, cocher toutes les instances. Et moi, franchement, ça me fatigue. » Manuel, 32 ans, développeur.


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